Guy Marchand de bonheur

A l'heure où le buzz fait et défait tout aussi vite des pipoles qui se prennent pour des stars, on est tout étonnés quand un bandeau de JT annonce "Mort du chanteur-acteur Guy Marchand à l'âge de 86 ans".

Ah merde ! On l'avait oublié !
Guy Marchand a mené sa carrière sans buzz, sans coups d'éclat médiatique.
J'y vais d'un petit coup de gueule ? Ouiiiii !
Il faut quand même saluer Cnews ou Gala qui, en accroche des articles annonçant la mort de l'artiste, ont titré "pourquoi il est mort ruiné" et "pourquoi sa compagne de 40 ans plus jeune, l'a quitté". Un titre de "presse de caniveau" ça se mérite !

En nous quittant à quelques jours de Noël, celui dont le titre "Déstinée" figure dans la B.O. du film "Le Père Noël est une ordure" nous fait une mauvaise blague.

 

 De la Place des Fêtes, en haut de Belleville dans le 19^ème arrondissement de Paris, à Cavaillon, ce titi a mené une carrière hors norme, sans jamais chopé le melon.

(Hé ! C'est mon blog, je fais les jeux de mots à la con que je veux !)

Le drôle de parcours d'un jeune homme sérieux

Guy Marchand est né le 22 mai 1937 dans le quartier de Belleville. 
Issu d'un milieu prolétaire, il suit des études secondaires au lycée Voltaire, établissement public réputé pour garçons (Voltaire deviendra mixte en 1973).
C'est pendant cette période que Guy Marchand apprend la clarinette à l'une des meilleures écoles qui soient : les boîtes de jazz de Saint Germain des Prés. 
En fait, Guy Marchand rêvait d'apprendre le saxo ténor mais, faute de moyens, son père lui offre une clarinette. 
Guy Marchand, à défaut, louera ses saxos.

Après son bac, il fait son service militaire comme élève officier de réserve à la base des troupes aéroportées de Pau où il obtient son brevet de parachutisme. 
Son parcours militaire le conduit au 3^ème régiment étranger d'infanterie : il participe à la guerre d'Algérie en tant qu'officier de liaison et, plus tard s'engagera dans la Légion Étrangère.

Une carrière hors des clous

Ce passé militaire ne sera pas sans influence sur la suite.

Il participe au tournage d'un monument du cinéma : Le Jour le plus long (1962).
Au titre de son expérience militaire, il sera un des conseillers techniques sur le tournage et tournera même une scène... qui sera coupée au montage. 
Mais il a mis la pointe d'un orteil dans le monde du cinéma.

Un bidasse chez les yéyés

Est-ce sa voix de crooner ? Est-ce le fait qu'il était beau gosse ?
Toujours est-il qu'il est remarqué par Eddie Barclay- dont, plus tard, il épousera la quatrième femme - qui veut le faire entrer dans la bande de Salut les Copains.

 Ce qui n'arrivera jamais !

Il y a d'abord le fossé entre deux mondes, celui des yéyés insouciants s'affichant comme antimilitaristes (ce qui n'empêchera pas un certain Johnny Halliday d'en faire des caisses quand lui-même sera appelé ¿) et ce jeune homme ex para, ex légionnaire et qui sort de la guerre d'Algérie. Inutile de dire qu'on ne le verra pas sur la fameuse photo de 1966 !

Pourtant, en 1965 il signe La Passionnata, un tube qui fait figure d'ovni musical.

Guy Marchand en parle sans fard dans un entretien pour le mag Schnock (n°27 - 2019).

Ma chanson «La Passionnata» marchait plutôt bien, mais je n’étais pas aimé. Tout le monde pensait que cette chanson était un gag, alors qu’ils avaient tort. [...] Je ne plaisais pas aux autres de Salut les copains et vice versa.

 Mais Guy Marchand est assez lucide pour y voir une autre explication, peut-être plus profonde, même s'il tourne ça à la dérision.

J’étais intemporel ! On m’a toujours un peu ringardisé, mais parfois c’était presque de la jalousie, parce que j’étais jeune et beau, que j’avais un physique à la Rudolph Valentino, ou alors parce que je faisais penser à un représentant de commerce. On me trouvait beau et con, mais on peut être laid et con aussi ! Le crooner, c’est toujours le clown blanc, le ringard. Les gens détestent ce genre-là. Heureusement, le cinéma est venu à mon secours !

 La caméra aime Guy Marchand

C'est Michel Galabru qui poussera Guy Marchand à passer devant la caméra et il a eu le nez creux !

Si Le Jour le plus long fut un rendez-vous manqué, 1971 marque le début d'une carrière qui ne s'arrêtera jamais puisque l'acteur a tourné cette année La plus belle pour aller danser de Victoria Bedos.

Robert Enrico sélectionne Guy Marchand pour son physique de latin lover et pour ses talents de chanteur afin de donner la réplique à Lino Ventura et Brigitte Bardot. Ils entonneront un court duo sur l'air de Plaisir d'amour. 

Toujours pour Schnock, il livre ses souvenirs.

Débuter dans le cinéma en embrassant Bardot, excusez du peu ! J’ai encore la photo dans ma bibliothèque, elle devant moi, qui me tend son beau visage, c’était le Saint-Graal du play-boy, imbécile que j’étais. Et c’est Sami Frey qui se l’est faite, putain ! Je ne pouvais plus dire le texte après ! Je ne croyais pas qu’on embrassait comme ça au cinéma.

Tournant avec les plus grands noms du cinéma, il ne sera jamais en tête d'affiche. Pourtant il s'impose dans les seconds rôles et réussit l'exploit de s'attirer des critiques élogieuses alors dans de véritables navets !

Son interprétation du détective Nestor Burma en 1981, face à Jane Birkin, lui ouvrira enfin la porte du premier rôle dans la série TV éponyme.

Dans Garde à vue de Claude Miller (aussi un ancien de Voltaire) en 1981, aux côtés de Lino Ventura et Michel Serrault, il est époustouflant dans le rôle d'un inspecteur crétin !

Guy Marchand : crooner toujours !

Cette boulimie filmique lui a permis non seulement de financer sa passion pour les voitures, les motos, le polo ou encore son château près de Libourne, mais aussi sa grande passion : la musique. Même si le grand public le connait pour sa carrière d'acteur, ce passionné de jazz, de tango était un musicien accompli et un chanteur de charme.

De 1965 avec son single La Passionnata à son dernier album Né à Belleville en 2020, de single en EP, d'album en compilation, il n'a jamais arrêté.
Grâce à ses cachets d'acteurs, il pouvait se permettre de jouer et chanter la musique qu'il aimait sans la pression de devoir sortir des tubes à la chaîne.
C'est pourtant le cinéma qui lui offre son plus grand succès de chanteur.

Destinée, la chanson qu'il déteste

Il faut bien reconnaître que de 1965 à 1982 les tubes de Guy Marchand sont rares : La Passionnata (1965), Moi je suis tango (1975) ou encore Hey Crooner (1977), le reste de sa discographie restant sous la barre des 40 à 50 000 exemplaires vendus.

Quand Claude Zidi tourne "Les sous doués en vacances", il veut une chanson dans la tradition des "tubes de l'été" et fait appel à Vladimir Cosma pour en composer la mélodie. S'inspirant largement de L'été indien de Joe Dassin, celui-ci s'exécute.
Pour les paroles et l'interprétation, Claude Zidi fait appel à Guy Marchand, afin qu'il compose une parodie des grands slows des années 80, un slow "ringard et humoristique".
Guy Marchand, épaulé par Philippe Adler écrit Destinée. 

Le film sera un succès et Memphis, alias Guy Marchand, et son Love Computeur font un tel tabac que, la même année, Jean-Marie Poiré obtient le droit pour utiliser Destinée dans la scène culte du slow entre Thierry Lhermitte et Christian Clavier dans "Le Père Noël est une ordure" qui devient cultissime.

Pour cet amoureux de la musique qu'est Guy Marchand, Destinée reste une verrue dans son répertoire.

C’est pas ce que j’ai fait de mieux. Ils m’avaient dit : « Ecris une grosse merde ». Je me suis exécuté [...] Je hais cette chanson.

Guy Marchand a vécu sa vie comme il l'entendait, en "touriste" prenant une revanche sur la vie du gamin de Belleville qu'il n'a pourtant jamais cessé d'être.
Il a charmé les femmes, il a charmé son public qui lui est resté fidèle à travers ses films, sa musique mais aussi ses romans.
En 2012, en toute lucidité il déclarait avec son humour habituel :

La mort est une femme. Un jour il faudra bien que je couche avec elle. Pour l'instant, je flirte

Le flirt est terminé.
Il nous reste de beaux moments de musique, malicieux et dansants, pour continuer un flirt heureux.