Mélodyne en sous-sol

A-y-est ! C'est fini !
Dimanche soir la cérémonie de clôture des jeux Paralympiques a fermé la parenthèse heureuse de ces J.O. Paris 2024. Comme après une exposition à une lumière trop violente, on a encore une peu de mal pour accommoder sur la réalité un instant oubliée.

Entre dithyrambes et polémiques, ces Jeux Olympiques ont fait couler beaucoup d'encre et fait crépiter les claviers.
Entre pertinence et grand n'importe quoi, on a tout vu tout lu, sur tout.

Y compris sur le playback.
Playback or not playback ? La seule qui aurait réellement chanté en pur live serait la grande Céline Dion.

Autant prévenir tout de suite : je vais casser un mythe.
Mais là n'est pas le but final, celui-ci étant ailleurs : qu'écoutons nous vraiment ?

Olympic Broadcasting Service-AFP/POOL

 

Céline Dion sublime et parfaite

Objectivement, force est de reconnaître que l'équipe artistique a fait très fort concernant les tableaux musicaux avec notamment deux moments très intenses, le groupe de Metal Gojira sur la façade de la Conciergerie et une lumineuse Céline Dion dominant la foule et illuminant la nuit au premier étage de la Tour Eiffel.

Parfaite, elle a mis plus de deux milliards de téléspectateurs en PLS d'admiration. Admiration justifiée eut égard à ses problèmes de santé et les problèmes vocaux en découlant.
Alors, peut-être trop parfaite ?

Avant d'entrer dans le vif du sujet, une petite tranche d'amour universel :

Maintenant que vous avez revisionné ce grand moment, n'y a-t-il rien qui vous surprenne ?

Cette question s'adresse d'abotd à ceux qui ont déjà chanté en live, sur scène ou même dans un simple karaoké, et elle concerne la position du microphone.

Le microphone : une petite bête sensible

Sur scène ou en karaoké, on utilise des microphones dynamiques, d'une part pour leur capacité d'amplification du son mais également pour celle de restituer des niveaux sonores élevés... à condition de prendre quelques précautions qui deviennent instinctives quand on chante souvent en public.

Il y a deux choses que le micro dynamique n'aime pas : certaines consonnes et qu'on lui gueule dessus.

Les P, les B, les T ou les "K" ont tendance à "péter" dans le micro, provoquant ce qu'on appelle souvent des "pops" désagréables pour l'auditoire.
Quant au niveaux sonores élevés, le micro dynamique gère mais faut pas pousser ! Sinon il sature, et s'il est vraiment contrarié, il a vite fait de vous provoquer un bon larsen !
A surveiller aussi, l'effet de souffle : notre micro sensible estime qu'il n'est pas une bougie.

Plus sérieusement, pour toutes ces raisons, la position du micro devient essentielle.
En situation de chant "normal", on le tient légèrement incliné à environ deux épaisseurs de doigts de la bouche. Quand on sait que l'on va attaquer une consonne dure ou que l'on va "monter le son", on l'écarte, en règle générale d'une bonne largeur de main ou plus si on a une voix de stentor.

Pour avoir chanté souvent L'Hymne à l'Amour, si je me suis fait piéger la première fois, les fois suivantes j'ai appris (merci à ma copine chanteuse) à manier mon micro avec égards, surtout sur LA phrase casse-gueule : Peu m'importe si tu m'aimes... (d'autant qu'alors, j'avais du coffre).
C'est du tout-en-un ! Prise de respiration avant, consonnes dures et montée en puissance de la voix.

En regardant cette vidéo la première fois, je savais que quelque chose "clochait" mais quoi ? 
Mais dès le deuxième visionnage, cette histoire de micro m'a interpelée et après x fois j'ai acquis la conviction qu'il y avait un loup.

Bon, j'avoue que, à leur corps défendant, les media y sont aussi pour quelque chose.
Avant et après la prestation de la star, ses thuriféraires en ont tellement fait sur le fait que ELLE a chanté en live alors que les autres, hein, suivez mon regard... Quand ça devient trop lèche-cul, pour moi ça devient immédiatement suspect, d'autant qu'après l'immense battage autour de la maladie de Céline Dion et ses annulations de concerts successives, son show olympique c'est Lazare ressuscité.

Faut-il hurler à la "tricherie" .?

Je ferai la même réponse que celle à propos de la prestation de Gojira : non !

Les puristes hurlent au charron, ça les occupe !
Mais ceux qui ont déjà chanté en public et ceux qui ont participé à la sonorisation d'évènements en extérieurs savent que l'inattendu est à prévoir. Et quand on est en direct, en mondiovision, le droit à l'erreur est pratiquement interdit.

Malgré tout son talent, dans le cas de Céline Dion, une éventuelle défaillance vocale n'était pas à exclure.
En observant attentivement la prestation de la Canadienne, je pense que, comme le disait Mario Duplantier (Gojira), il y a eu un mix des deux. Et entre nous soit dit, chers Melomaniacs, tant mieux car cela m'aurait fait de la peine d'assister à un retour à la Withney Houston.

Je suis partie à la pêche aux infos et si plusieurs sources semblent confirmer mes doutes, il en est une qui, au delà de ce show, pose une question concernant tous les amoureux de musique.

Est-ce la fin du chant naturel ?

L'intervenant Étienne Guéreau n'est pas un de ces chroniqueurs à la petite semaine qui fleurissent sur le Net,
Présenté par Radio France comme un érudit, ce qu'il est, ce musicien, compositeur et coach musical maîtrise son sujet.

A travers sa chaîne Youtube Piano Jazz Concept il livre ses observations sur des artistes, des titres ciblés et la vie musicale en général.
Véritable chaîne de vulgarisation au sens noble du terme, ses analyses toujours pertinentes et teintées parfois d'un humour caustique, peuvent parfois paraître hermétiques au vulgum pecus.

Ce pro nous fait écouter autrement et il n'hésite pas à poser des questions qui dérangent, y compris aux professionnels qu'il interpelle.

Je vous laisse découvrir son intervention, je vous retrouve juste après.

Dans ces colonnes, j'ai souvent fustigé le fait que notre rapport à la musique a changé et si le Net présente l'avantage d'ouvrir nos horizons musicaux, il nous a en revanche habitués à une qualité sonore inférieure pour des raisons à la fois pratiques et techniques.

Le MPEG-1 Audio Layer 3 que nous connaissons tous sous son abréviation MP3 est devenu un standard supporté par tous nos appareils connectés. Son taux de compression permet de stocker un nombre de fichiers presque illimité.
Mais qui dit compression dit de facto perte de données et donc de qualité par rapport à l'original, à laquelle nous nous sommes hélas habitués.

Faites un test avec un de vos CD : ripez-le en FLAC puis en MP3 et comparez.

La Musique : de la Culture à produit de consommation

Si vous êtes des amoureux de la musique et que vous faites partie de la tranche "âge mûr et tête de bois", vous aurez remarqué que le virage négocié à partir de la fin des 90s est désormais un virage en épingle à cheveux.

Nous avons tous connu le playback sur les plateaux télé mais gare à qui en usait en live ! Le triste épisode Mani Vanilli en fut un exemple poussé au delà des frontières du ridicule.
Nous savions tous que l'enregistrement en studio faisait l'objet de corrections, parfois tellement poussées que certains artistes se sont prudemment gardé de monter sur scène, ne restant que des produits de studio, dont la carrière fut d'ailleurs plus brève que celle d'une comète.

Aujourd'hui, entre Autotune, Melodyne (comparatif) et autres correcteurs, sans parler de l'IA qui est en train d'exploser dans quasi tous les domaines, qu'écouterons-nous vraiment ?
En concert, que deviendra la spontanéité qui en fait le charme inattendu ?
Paierons nous pour du "fait maison" ou de la "cuisine assemblée" ?

Autre effet pervers, surtout sur les jeunes générations, y aura-t-il une altération de nos perceptions tant auditives que visuelles, au point de ne plus distinguer le réel du factice ?

Le débat est ouvert.