24 août, 2024

Independance day - Chervona kalyna

 En 1991 une secousse sismique faisait trembler le continent européen dont l'amplitude égalait celle de 1917 : la chute de l'URSS.

Le monde se réjouit - à juste titre - du retour à la liberté et à la démocratie de cet immense territoire si tant est qu'elles y régnèrent jamais.
La gangrène qui avait commencé à ronger le pouvoir soviétique pendant la guerre d'Afghanistan allait rebattre les cartes du grand Monopoly™ géostratégique sur lequel nous ne comptons pas.

Après la tentative de putsch contre Gorbatchev, le nouveau président Boris Eltsine va entériner la dislocation de l'empire soviétique.
Baignés dans la torpeur estivale du mois d'août, les vacanciers occidentaux saluent mollement les déclarations d'indépendance d'anciennes républiques soviétiques : la Biélorussie, la Moldavie, l’Azerbaïdjan, le Kirghizstan et l’Ouzbékistan.

Dans la nuit du 23 au 24 août, c'est la plus grande et la plus riche des républiques soviétiques qui proclame son indépendance : l'UKRAINE.

Photo Valentyn Ogirenko pour Reuteurs
 

Naissance de la nation ukrainienne

Un chiffre vient fracasser les assertions révisionnistes des dirigeants russes mais aussi de certains poutinolâtres politiques français : la Rada1 ukrainienne souhaite que le peuple ukrainien se prononce démocratiquement sur cette nouvelle indépendance par voie référendaire. Le 1er décembre le résultat tombe et il est sans appel avec 90,3 % pour une participation de 82 % de l'électorat (Crimée comprise).
La Déclaration d'Indépendance du 24 août 1991 est officiellement reconnue. Dans la foulée, le président Eltsine reconnait l'indépendance et les frontières de l'Ukraine.

Pologne et Canada sont les premiers états à reconnaître la nouvelle nation, bientôt suivis par la communauté internationale  qui reconnait également les frontières de l'Ukraine.
Ces mêmes frontières seront garanties par le Mémorendum de Budapest, ratifié  par la Fédération de Russie, l'Ukraine mais également les États Unis, la Grande Bretagne puis un peu plus tard, la France et la Chine qui garantissent l'intégrité territoriale de l'Ukraine.
En échange, on ne demande "presque rien" ¿ à l'Ukraine, juste de céder son arsenal nucléaire, le deuxième au monde après la Russie, à la Fédération russe.

Pays "frères" ? Et ta sœur !

La suite, on la connait !

Si l'indépendance va de soi sur le papier, elle n'est politiquement pas acquise !
Entre crises socio-économiques et scandales de corruption, une étrange alternance présidentielle, tantôt pro-russe tantôt pro-européenne, pousse le pays de crise en crise, dans une instabilité savamment entretenues par le Kremlin. 

Le président Viktor Iouchtchenko (2005-2010) ouvre les négociations pour un rapprochement avec l'UE et l'OTAN, Poutine s'étrangle mais il peut compter sur ses amis Merkel et Sarkozy pour faire capoter cette horrible perspective !
Ouf ! Quelques tripatouillages et ingérences plus tard, Viktor Ianoukovytch, très russo-compatible est élu. Après la signature des accords de Kharkiv qui prolonge la présence de la flotte russe à Sébastopol (Crimée) et l'annulation des partenariats avec l'Union Européenne, l'indépendance ukrainienne en prend un sacré coup ! Et ça les Ukrainiens, notamment les jeunes ne le comprennent que trop bien.
Un million de manifestants se réunissent sur la Place de l'Indépendance de Kyiv : le mouvement Euromaïdan est lancé.
Ce qu'on appellera plus tard la "Révolution pour la dignité" peut être considérée comme le point de bascule vers l'actuelle situation de l'Ukraine.

12/03/2013 - Photo Reuters (source DW.com)

 Destitué; Ianoukovytch trouve refuge au Belarus tandis que mûrissent les fruits de sa politique.

Une nouvelle guerre d'indépendance

Petro Porochenko (2014-2019) lui succède et relance le processus de rapprochement avec l'ouest.
Mais l'Ukraine est en pleine crise économique tandis qu'à l'est une autre crise se prépare provoquée par l'hubris de Poutine. Très "spontanément" les séparatistes du Donbass prennent les armes (aimablement fournies par la Russie) et entre en guerre contre le gouvernement ukrainien; tandis que Poutine annexe purement et simplement la Crimée. A l'ouest c'est un peu "prière de ne pas déranger pendant la sieste".
Comme si ça ne suffisait pas, Porochenko est empêtré dans des scandales financiers et la mise en place d'une politique d'austérité demandée par l'Europe : sa popularité chute vertigineusement.

Aux présidentielles de 2019; affichant un programme nationaliste, il promet de récupérer la Crimée mais les Ukrainiens lui préfèreront un jeune acteur comique qui a fondé le parti Serviteur du Peuple, un certain Volodomyr Zelensky.

Zelensky - front de Robotyné 04/02/24 (svce presse présidentiel)

Après l'annexion (illégale) de la Crimée, la déstabilisation du Donbass, les renoncements de l'Occident devant leur "ami Poutine" ont encouragé ce dernier à lancer son "opération militaire spéciale" pour "dénazifier" l'Ukraine et protéger les pro-russes contre les méchants Ukrainiens.
Sans que ça émeuve vraiment les garants de l'intégralité territoriale ukrainienne, en tout cas jusqu'en mars 2022. Et encore ! Il aura fallu la découverte des massacres de Boutcha (située dans l'oblast de Kyiv) pour qu'enfin l'occident comprenne que leur "ami Poutine" avait fait des quadruplés dans le dos de tout le monde !

L'autre surprise pour l'Occident qui, comme Poutine, avait misé sur l'effondrement de l'Ukraine en un mois, fut l'incroyable et inattendue Résistance du peuple ukrainien.
Inattendue ? Vraiment ?!
Quand on se penche sur l'histoire de l'Ukraine et de ses rapports avec son encombrant voisin c'est loin d'être un long fleuve tranquille ! 
Depuis des siècles les deux pays "frères" s'écharpent allègrement et la réponse des différents régimes russes fut à peu de chose près, toujours la même : une russification forcée par la déportation des Tatares et Cosaques, génocide par la famine organisée (Holodomor) et répression par le fer et le feu.
Avec pour résultat de renforcer un patriotisme teinté de nationalisme qui s'exprime jusque dans un répertoire de chansons qui font désormais le tour du monde.

Car à la résistance armée s'ajoute la résistance culturelle.

Oï ou louzi tchervona kalyna

La viorne obier (ou encore viorne rouge ou "bois à quenouille") est un petit arbuste de la même famille que nos boules-de-neige, omniprésent en Ukraine. Ses baies rouges, toxiques avalées telles quelles, sont présentes sur tous les marchés ukrainiens car elles possèdent de nombreuses vertus thérapeutiques et sont également consommées en confiture et en jus.


 Ces grappes rouges ou kalyna sont de véritables emblèmes  nationaux, brodées sur les tenues folkloriques ou présentes sur les drapeaux de la présidence.

Écrite en 1875 par Volodymyr Antonovych et Mykhailo Drahomanov comme chanson folklorique, elle fut remaniée en 1914 par Stepan Charnetsky, pour l'Unité des fusiliers de la Sitch. Cette unité s'établit à Kyiv afin de créer un état ukrainien en 1917.
Elle fut ensuite reprise par l'Armée Populaire Ukrainienne lors de la Guerre d'Indépendance ukrainienne (1917_1921).
Depuis cette époque, Oï ou louzi tchervona kalyna est devenu le chant de Résistance face aux diverses occupations russes et il en existe presque autant de versions que de baies sur une grappe de kalyna.

Un chant de tradition et de courage

Quand Poutine lance son "opération militaire spéciale", le groupe ukrainien Boombox est en tournée américaine. Dès qu'il apprend l'invasion son chanteur, Andriy Khlyvnyuk, annule la tournée et rentre en Ukraine où il s'engage dans les forces ukrainiennes.
A l'instar de nombre de ses compatriotes, pour entretenir le moral de ses concitoyens, le 27 février, seul sur la place Sophia à Kyiv, il entonne le premier couplet qu'il poste sur Instagram.

Son petit clip sera repris, par des inconnus, par les chanteurs de l'Opéra de Vilnius, par des chœurs à travers tous les pays de l'Est (Estonie, Lituanie, Géorgie...) qui savent que si l'Ukraine s'effondre ou que le moindre compromis avec Poutine était trouvé, ils seraient à leur tour des cibles potentielles.

A travers tous les territoires occupés par la Russie, fredonner cette chanson est passible de 5 à 15 ans de prison.
Alors, je rends hommage ici à ce sexagénaire moscovite inconnu, un des très rares Russes ayant eu le courage de manifester son opposition à la guerre, qui, après que le juge l'eut condamné à l'emprisonnement (ce qui à son âge, vu les conditions penitentiaires équivaut à une peine de mort), s'est dressé, poing levé, pour chanter à pleins poumons "Oi u luzi chervona kalyna pokhylylasia, Chohos nasha slavna Ukraina zazhurylasia...", avant d'être violemment extrait de sa cage de verre sous les applaudissements.

Je vous livre deux versions, différentes mais chantées d'un même cœur.

Slava Ukraina ! Heroim slava !

► Traduction fr

 

 

 

 Notes

1 Rada : parlement ukrainien, équivalent de notre Assemblée Nationale et de la Douma russe

10 commentaires:

  1. VIVE L UKRAINE
    J ESPERE QUE LA RUSSIE SE LIBERERA DU BLACK SPIRIT
    BLACK SPIRIT craignait la réussite de l'UKRAINE , car le peuple Russe aurait pu réclamer la même réussite .......danger pour lui
    PARCE QU IL NE PRONONCAIT JAMAIS LE NOM DE NAVALNY j ai décidé de ne plus écrire son nom sur mon blog

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    1. Hou là ! On garde son calme ! ;)

      Black Spirit ? Cette déification inversée fait de Poutine une sorte d'archange du Mal. Or ce n'est qu'un mec obscur sous off du KGB aigri qui a choisi le monde maffieux pour assouvir son ambition. Rien de surnaturel chez un type à la psyché tordue; comme pour la plupart des dirigeants. Il est un pur produit d'un virilisme atavique et de la dedovchtchina érigée en système depuis Staline, au service d'un ultra nationalisme historique. Ni plus, ni moins.
      Quant au Russes ne compte pas trop sur eux ! Mon amie me l'a rappelé : "Nous sommes un peuple habitué au knout". Je t'invite à lire "Z comme Zombies" de Iégor Gran : édifiant; terrifiant et, toujours d'après mon amie russe, en dessous de la réalité.

      Pour ce qui est de Navalny, on ne peut que saluer son courage face à Poutine qu'il a choisi de défier en revenant en Russie. Mais, pour incontestable que soit son statut de martyre, je te rappelle que malgré ses origines ukrainiennes, c'était un libéral nationaliste qui a applaudi l'annexion de la Crimée et qui n'aurait probablement pas bronché si l'armée russe ne s'était pas fait botté le cul dans l'oblast de Kyiv.

      En politique, rien n'est blanc ou noir et la tendance à la voir à travers le prisme d'un manichéisme Bien contre Mal est une foutaise intellectuelle qui sert à la manipulation des opinions publiques, à l'est comme à l'est.
      Et, malheureusement, ça marche :(

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    2. je ne vois pas de surnaturel ,
      non moi un mec qui provoque la mort de milliers de personnes (civils , soldats adverses et même de son camp) est un black spirit , il se fout des autres
      black spirit = celui qui ne ressent pas d empathie , voir ressent du plaisir à faire le mal
      par des expériences scientifiques cela a été prouvé , nous n avons pas tous le même cerveau , ni la même apprentissage de la vie
      le diable est black spirit

      coluche disait : les gens ne croient plus en dieu , mais ils sont obligés de croire au diable car force est de constater que c est lui qui l emporte

      navalny était quand même préférable à BS , moins pire
      et je pense qu avec navalny on aurait pu négocier , il n était pas va t'en guerre

      BS veut laisser son nom dans les livres d histoires , il veut être aussi connu que hitler, certains aiment laisser une empreinte , comme les dinosaures en ont laissé

      Tu remarqueras que dans les livres d histoires on parle plus des grands chefs de guerre (césar , gengiskahn, hitler , alexandre , napoléon ......) que des autres .qui voulaient la paix.......

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    3. il y a quand même des russes sains

      peut être pas majoritaires , il est vrai que l assistanat met en dépendance de l état certaines personnes qui du coup n osent pas se rebeller ,

      Kasparov est sain , et ses interventions médiatiques me rassurent si un jour il pouvait prendre le pouvoir
      oui la russie est devenue mafieuse

      hier j ai vu kadyrov qui tirait avec 2 mitrailleuses ...;dont une plaquée or !!!! franchement faut être con pour s exhiber avec du plaqué or dans le monde militaire , rien de mieux pour se faire repèrer

      le sultan du brunai avait tous ses toilettes en plaqué or ou or pur ......
      faut bien se valoriser avec l'or quand on ne peut le faire autrement


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    4. Bonjour Anycolour

      A partir du moment où on me parle de "black spirit" on sort du champ du rationnel.
      "black spirit = celui qui ne ressent pas d empathie , voir ressent du plaisir à faire le mal" : en psychiatrie ça porte un nom, la psychopathie.
      C'est vrai que les livres d'Histoire regorge plus de saigneurs que de pacifistes. Peut-être parce que les grandes pages de l'Histoire ont été écrites dans le sang.
      Kasparov ? Primo il est en exil (comme la plupart des Russes "sains") et deuzio je te rappelle qu'il est de souche arménienne et pour les Russes il est hors de question d'avoir un chef d'état arménien ou tchétchène, des "culs noirs".

      Le sujet du billet, même si il fait la part belle à l'histoire, reste cette chanson passée du folklore au chant patriotique. Et je préfère saluer le courage d'Andriy Khlyvnyuk que de parler de ce fantoche de Kadyrov.

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    5. quand un homme comme Kasparov gagne aux echecs , les russes se disent on a gagné aux échecs , et c est un russe le plus fort , mais en cas d'élection il serait vu comme un arménien .....
      donc le plus fort aux échecs était un arménien

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  2. Pauvre Ukraine... je suis quand même pessimiste sur la bonne fin de cette guerre... il est clair que le reste du monde, s il ne veut pas la victoire de la Russie, veut encore moins la victoire de l Ukraine... leur courage et leur rage de liberté me tirent des larmes d impuissance et de rage... bisous

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    1. Bonjour Chris
      Moi aussi, je suis pessimiste. Ce ne serait pas la première fois que cet occident "axe du Bien" (¿) abandonnerait un allié en rase campagne au nom d'intérêts immoraux...
      Gros bisous

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  3. et bien voila de l'Histoire bien documentée
    merci de ce moment dans notre passé europeen et face a l'ours qu'etait l'URSS

    je suis en conflit constant avec moi meme,
    un grand pere russe, une grand mere ukrainienne LOL
    le russe et l'ukrainien se ressemblent,
    on se comprend bien que de nombreuses differences apparaissent meme en leur langage

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    1. L'Ours russe mord toujours. Notre vision idéalisée de la Russie, de son fatalisme romantique nous ont aveuglés. Il suffit de relire Dostoïevski ou Tolstoï pour comprendre la brutalité qui se cache derrière Notre "passé" européen est quand même très neuf.

      "Le russe et l'ukrainien se ressemblent" : tu parles au niveau linguistique ?
      Car au niveau philosophique c'est pas la même.
      Bisous

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