11 juillet, 2024

Jacques Offenbach : une "success story"

Avez-vous jamais remarqué que quand on évoque la musique classique, dans l'esprit de beaucoup naissent des images souvent compassées, empreintes de sérieux mais aussi d'une certaine image de classe ?

Le fait est que musique classique ne rime pas avec "populaire" et que ses admirateurs n'étaient pas vraiment enclins à sa vulgarisation.
Alors je me suis prise à rêver (délirer, si vous préférez) : et si les réseaux sociaux avaient existé au XIXème siècle ?

Face au "souriant" Berlioz, ou au sympathique Wagner, j'imagine l'embarras des influenceurs de l'époque !
Mais je suis presque sûre qu'il y en a un qui aurait explosé les like sur Youtube : Jacques Offenbach !

 

Bon allez... j'avoue que j'ai un faible pour la musique de cet homme fantasque qui n'engendrait pas la nostalgie !

Offenbach, un génie anticonformiste

Par un de ces caprices de l'Histoire, c'est l'histoire napoléonienne qui fit de ce musicien un des plus prestigieux représentants du mode de vie "à la française" tel que se le représentent les étrangers.

Révélation d'un génie précoce

Isaac Offenbach-Bibliothèque nat. Israël

Isaac Eberst, relieur de métier, vit le jour à Offenbach an Main. Issu d'une famille de musiciens, il devient chantre à la synagogue et joue du violon dans les cafés de Cologne où il est connu sous le surnom de der Offenbacher
Les conquêtes napoléoniennes font tomber Cologne dans l'escarcelle de l'Empire français dont les citoyens reçoivent la nationalité française en 1801. Le décret de Bayonne (1808) impose aux juifs de choisir un nom de famille définitif et de le déclarer à la mairie. Qu'à cela ne tienne !

Isaac Eberst prend le nom de sa ville de naissance, Offenbach, qui deviendra le patronyme de sa nombreuse progéniture désormais française et ses dix enfants, dont le jeune Jakob né en 1819, s'appelleront désormais Offenbach.

La musique dans la peau

Bon sang ne saurait mentir.
Le petit Jakob, deuxième né de la fratrie, qui apprend le violon depuis l'âge de 6 ans, compose ses premières danses deux ans plus tard. Isaac paie à son fils des cours de violoncelle avec un maître célèbre qui, trois ans après, sera étonné par les compositions complexes de son jeune élève, alors âgé de neuf ans.
Il a à peine 12 ans quand il fait ses premières apparitions publiques (1831-1832) dans les tavernes, accompagné de son frère Julius et de sa sœur Isabelle. Ça met du beurre dans les épinards, mais ça fait surtout naître la vocation de Jakob : il sera compositeur.

Les Offenbach à la conquête de Paris

1833 marque un tournant décisif pour le jeune Jakob.
Isaac décide de présenter ses deux enfants les plus talentueux, Jakob et Julius, à Luigi Cherubini, directeur du prestigieux Conservatoire de Paris. Impressionné par leur talent, celui-ci aplanira les tracas administratifs pour que Jakob, alors trop jeune (il a 14 ans), soit admis.
Ils "francisent" leurs prénoms et Jakob devient Jacques. Mais autant Jules se montre assidu (il sera diplômé et deviendra un chef d'orchestre connu), autant Jacques, qui s'ennuie copieusement, prend ça un peu par dessus la jambe. Il quitte le Conservatoire l'année suivante.

Anticonformiste et joyeux drille, Jacques évite la galère grâce à son talent et obtient un poste permanent à l'Opéra Comique en 1835 où, chahuteur et blagueur, il sera parfois privé de salaire.
Comme il faut bien vivre, il compose pour les bals et, sa réputation commençant à s'établir, il jouera du violoncelle lors de soirées mondaines.Mais il peut continuer à prendre des cours avec un autre maître du violoncelle et le chef d'orchestre Fromental Halevy lui donnera des cours de composition.

En 1952, les gazettes parlent déjà de lui, mais pas pour les meilleures raisons !
Il fait interpréter des chansons comiques signées par d'autres, dont certains enregistrés à la SACEM. Offenbach refuse de payer mais ce n'est pas du goût d'un des compositeurs, Adolphe Adam, qui l'assigne au tribunal. De mauvais gré, Offenbach paiera.

Succès et polémiques : la star Offenbach

Entre 1853 et 1857 il écrira plusieurs pièces musicales en un acte, jouées dans de petits théâtres (Théâtre de Choiseul). Lassé qu'on lui refuse ses œuvres, il ouvre les Bouffes Parisiennes en 1855.

C'est en 1858 qu'il monte "Orphée aux Enfers". 

Le journaliste Jules Janin descend la pièce en flammes pour profanation et irrévérence. A noter qu'Offenbach sera une fixette pour Janin !
Offenbach flaire l'occasion de se faire de la pub gratuite, répond dans les colonnes du Figaro. Rien de tel qu'une bonne polémique publique !
Le public se presse pour la voir, d'autant plus que c'est aussi une satire contre l'empereur Napoléon III qui, bon prince, réservera une représentation en 1860.
Les valses, aux sonorités viennoises mais surtout le fameux Galop Infernal (le cultissime cancan) feront que parmi tous ses autres succès, "Orphée aux Enfers" restera son œuvre la plus populaire. 

En 1860 il entre enfin à l'Opéra Comique mais cette fois comme compositeur. Il crée également Le Papillon, un ballet pour l'Opéra de Paris mais la mort de la danseuse étoile  Emma Livry dont la robe s'est enflammée, fait que Le Papillon sera considéré comme une œuvre maudite et ne sera plus jouée du vivant de l'auteur.

Une réputation sulfureuse et une avalanche de caricatures

Dix ans auparavant, Offenbach sera mêlé à un autre drame au château de Villelouët où il donnait un concert : tandis qu'elle est dans sa chambre, la robe de la nièce du ministre académicien François Guizot s'enflamme. Passant dans le couloir, le musicien se précipite pour éteindre le feu avec ses mains. La jeune femme décèdera quatre jours plus tard. Sérieusement brûlé aux mains et aux  poignets, le musicien mettra du temps avant de pouvoir rejouer.

Offenbach caricature d'André Gill

Est-ce à cause de ces drames ?  Ou en raison de certaines manies, comme celle de ne porter que des cravates de satin noires ou de ne réserver sa pratique qu'à quatre restaurants de la capitale ?
Probablement un peu de tout ça et pour peu qu'on y ajoute sa vision très critique de la société du Second Empire et le fait qu'il soit juif et qu'il ait un physique particulier, peu étonnant dès lors que Jacques Offenbach ait été l'objet de bien des ragots et caricatures.
Tout sera bon pour les caricaturistes qui iront jusqu'à gloser sur sa polyvalence.
On  ira jusqu'à lui prêter une réputation d'être satanique et de jeteur de sorts ! Il n'y a pas que  les gazettes qui l'épinglent ; ainsi Gustave Flaubert qui ira jusqu'à écrire dans son Dictionnaire des Idées Reçues :

Dès qu’on entend son nom, il faut fermer deux doigts de la main droite pour préserver du mauvais œil

Comme quoi on peut être un grand écrivain et avoir des pensées connes !

Le père de l'opéra-bouffe et de l'opérette

Offenbach est un boulimique du travail, hyper créatif et productif, touchant à pratiquement tous les genres. Ce dingue de travail en est presque tyrannique avec ses librettistes dont il attend une disponibilité quasi constante.

Nous avons eu tous les plus grands succès de la dernière Exposition, je voudrais bien encore cette fois que la pièce fût de nous trois, rien que nous trois, Meilhac, Halévy, Offenbach. Donc, voyez, cherchez, travaillez

Et ils devront suivre la cadence  quand en 1864 Offenbach se lance dans un genre nouveau : l'opéra-bouffe.

La Belle Hélène, Barbe-Bleue, La Vie parisienne, La Grande-duchesse de Gérolstein, La Périchole… Sa notoriété, déjà considérable, explose littéralement ! Strauß l'imite, à Londres, à New-York, à Vienne, partout il est reçu comme une mega star.
Parmi les sommités qui viendront applaudir La Grande-duchesse de Gérolstein, œuvre antimilitariste, en 1967, on remarque la présence du roi de Prusse et de son chancelier, Otto von Bismarck. On est à trois ans du déclenchement de la guerre franco-prussienne.
Lucide, Halévy, un des librettistes et ancien haut fonctionnaire, note dans son journal :

Bismarck aide à doubler nos recettes, cette fois c'est la guerre à laquelle on rit, et la guerre est à nos portes

En 1870, le genre s'essouffle un peu.
Pire encore, Paris trouve en Jacques Offenbach un bouc-émissaire à la raclée de Sedan qui provoque la chute du Second Empire. Oublié le fait qu'il soit Français, décoré, qu'il ait été adulé et qu'il se soit montré sans concession avec Napoléon III: il est né en Allemagne alors forcément, c'est louche !
L'Angleterre et l'Autriche l'accueillent, lui et ses œuvres, avec le même enthousiasme.

Quand il revient à Paris fin 1871 et qu'il propose ses nouvelles compositions, un peu plus sages, ce n'est pas l'enthousiasme des grands jours mais en 1873 le public se rue aux nouvelles représentations d'Orphée aux Enfers dans son nouveau théâtre, le Théâtre de la Gaîté.
Une association avec l'auteur dramatique Vincent Sardou va se solder par une bérézina financière qui met fin à l'aventure du Théâtre de la Gaîté un an plus tard.

Les Contes d'Offman, l'œuvre ultime

En 1876 il entame une tournée triomphale en Amérique par la ville de New-York, au Gilmore's Garden (Madison Square Garden depuis 1879) devant 8 000 personnes ce qui est considérable à l'époque.
Cette tournée lui permet d'apurer une bonne partie de ses dettes.

Tout en composant de nouvelles opérettes, il a ainsi l'esprit un peu plus libre pour se consacrer au grand projet qui lui tient à cœur, composer un véritable opéra, plus "sérieux" que ce qu'il a écrit jusqu'alors.
S'inspirant de la pièce de théâtre Les contes fantastiques d'Hoffmann, de Jules Barbier et Michel Carré, il se met au travail dès le début 1877. Il sait que le temps lui est compté pour achever cette œuvre et en voir la première.
Mais il est usé, épuisé par sa vie trépidante et dévasté par la goutte et il laisse une œuvre inachevée pour ce qui concerne l'orchestration.
Il meurt le 5 octobre 1880 à l'âge de 61 ans, quatre mois avant la première.
Sa tombe est conçue par Charles Garnier, l'architecte de l'Opéra de Paris. Quel plus bel hommage pouvait-on lui rendre ?

S'appuyant sur les partitions vocales, complètes, Auguste son unique fils (qui décède en 1883 à 21 ans) et Ernest Guiraud, un ami de la famille compositeur achèvent cette œuvre qui fera l'admiration par sa simplicité. Qui n'a pas fredonné ou siffloté La Barcarolle ?

L'héritage d'une pop star avant l'heure

Faite de hauts et de bas, la vie artistique de Jacques Offenbach est à l'image de l'homme qui voyait tout en grand et qui se mit plusieurs fois en danger financier par ses exigences (mises en scène fastueuse, artistes aux cachets parfois exorbitants telle la célèbre Hortense Schneider), sa passion du jeu et des choix artistiques audacieux. 

Côté jardin, ce fou de travail à la vie trépidante trouve la paix auprès d'Herminie d'Alcain, rencontrée dans sa jeunesse de jeune musicien fauché, jouant dans les salons bourgeois.
Une tournée anglaise lui procurera une aisance confortable mais se pose la question de la religion : Offenbach est juif, Herminie catholique. Par amour, il se convertit et épouse Herminie le 14 août 1944. Elle a 17 ans, il en a 25. Ils auront quatre enfants dont un fils, Auguste.
Même si Offenbach ne fut pas un parfait modèle de fidélité, leur amour fut solide toute leur vie et Herminie était le roc sur lequel il pouvait compter.

Si ce musicien hors normes n'est pas le plus grand musicien français aux yeux des puristes, il est le plus populaire au cœur des profanes.

A NOTER : en écoutant le 2ème titre, vous éprouverez un sentiment de déjà entendu. En effet, ce morceau d'Offenbach sera adopté par l'US Marine Corps pour être son hymne officiel. Une  star !



3 commentaires:

  1. merci de ces infos et de la biographie que tu proposes là

    j'ai vu, petit, l'histoire d'Offenbach avec Michel Serrault dans son role
    un bon souvenir
    j'ai pu recuperer tous les episodes

    ke crois que mon operette préférée c'est la Belle Helene
    et son Opera "Les Contes D'Hoffmann "(dite operette mais c'est peu parlé et c'est plus de l'opera)

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    1. Coucou
      En préparant cette biographie, au fil des articles consultés, quelque chose m'a interpelée : autant quand il s'agit d'autres grands compositeurs français ceux-ci sont "traités" avec une sorte respect solennel (un peu trop à mon sens) autant Offenbach est traité comme on traiterait un chanteur de variétés.
      J'ignorais qu'il y ait eu une série sur sa vie, va falloir que je fouille ça !
      Bisous

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    2. sur le site de l'INA , memoire de l'audioviseul français
      tu peux la voir cette serie
      si tu es abonné eh eh eh

      https://madelen.ina.fr/serie/les-folies-offenbach-2825?locale=fr

      abonnement
      annuel de 29.99
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