Les Chaussettes Noires en tubes

L'avantage des vieux, c'est qu'ils ont été jeunes, alors que les jeunes ne sont nullement assurés de devenir vieux un jour (merci M. Geluk).
L'autre avantage des vieux, surtout s'ils sont nés dans la première moitié du 20^ème siècle c'est d'avoir vécu en direct les évolutions technologiques, techniques et même sociétales qui allaient bouleverser les codes musicaux, encore plus rapidement que pendant l'entre-deux guerres.
Ces évolutions et révolutions artistiques furent si rapides et si nombreuses que depuis le début de ce siècle-ci les vieux chnoques que nous sommes sont tout dépités de constater que les évolutions technologiques actuelles, si elles facilitent les choses, n'ont en revanche donné naissance à rien que nous n'ayons déjà entendu.

Un exemple ? Le Rock'n roll !
Bon, j'admets, les Français ne l'ont pas inventé mais les artistes de l'époque, en le popularisant, ont sorti la France de sa torpeur, comme ce groupe : les Five Rocks qu'on appellera aussi les Cinq Rocks.

30/10/1961 Discorama-Photo Philippe Bataillon (INA)

Qui ça ???!! Les Five Rocks ?! Inconnus au bataillon !
Rassure-toi cher Melomaniac, nul ne te tiendra rigueur de ton ignorance.

Il était une fois les 5 Rocks

Nous sommes en 1959 en Région parisienne.
Deux copains partagent la passion d'un genre musical encore peu répandu en France, le rock'n roll en provenance des USA. Ils s'appellent Claude Moine et Aldo Martinez.
Comme des milliers d'ados à l'époque, ils rêvent du king Elvis Presley, de Gene Vincent ou Little Richard.

Les deux copains décident de monter un groupe d'autant que le jeune Claude Moine a un rêve, celui de devenir chanteur.
Aldo Martinez qui joue de la guitare, va rameuter d'autres copains de la Cité des Émouleuses à Créteil, une bande de musiciens vraiment très amateurs .
Aldo convainc son copain Jean-Pierre Chichportich (batteur) de les rejoindre, puis c'est au tour de William Bennaim et Tony d'Arpa (tous les deux guitaristes) de compléter la jeune formation.

Des amateurs chez Barclay

Ils n'ont pas de répertoire propre, aussi reprennent-ils les tubes américains dans des adaptations en français signées Claude Moine.
Ils jouent leurs premiers titres dans des salles paroissiales du coin. 

Pendant ce temps le copain de Claude, un certain Johnny Hallyday sort ses premiers disques et ça roule plutôt bien pour lui.

Claude Moine démarche les maisons de disques et le groupe auditionne en novembre 1960 devant Jean Fernandez et Eddie Barclay. Celui-ci les signe pour trois ans et ce sont les parents qui parapheront le contrat car la petite bande est mineure.

En décembre 1960 les Cinq Rocks entre en studio d'enregistrement et les difficultés commencent : la maîtrise instrumentale laisse fortement à désirer ! Aldo Martinez va se mettre à la basse (absente jusque là) et en attendant que les musiciens progressent ce sont des musiciens de sessions qui prendront le relais.

En janvier 1961 il sortent leur premier 45 T avec les titres Tu parles trop, Si seulement, Bip bop a lula et Tant pis pour toi. C'est le premier passage sur la radio qui à l'époque faisait la pluie et le beau temps : Europe 1.

Et là, coup de théâtre !

Cinq cailloux dans les Chaussettes !

Au lieu d'annoncer un titre des 5 Rocks, le présentateur annonce... Les Chaussettes noires ! 

Le groupe est furieux ! Il apprend qu'à leur insu la maison Barclay et Lucien Morisse (à l'époque directeur des programmes d'Europe 1) ont négocié dans leur dos un contrat de parrainage avec la marque de chaussettes Stemm.
Le groupe ne touchera pas un rond mais... une boîte de 10 paires de chaussettes noires ! Deux paires de chaussettes noires chacun; ce sera le prix de leur notoriété.

Ce sera le temps des premières télés, le temps de travailler leur jeu de scène et le 24 février, ils sont en concert au Palais des Sports avec Hallyday en vedette au premier festival de rock'n roll.
En mars ils partent en tournée en province où ils deviennent des vedettes, mais le cachet, lui, ne suit pas.

L'émergence de Monsieur Eddy

En mars ils sortent leur deuxième super 45 T avec le désormais mythique Daniela et pour la première fois, exit Claude Moine : le nom d'Eddy Mitchell apparait pour la première fois au verso de la pochette.

Les Chaussettes Noires connaissent le vrai succès de 1961 jusqu'à fin 1963.
Avec Johnny Hallyday et les Chats Sauvages (Dick Rivers) il formeront l'épine dorsale du rockn'roll français.

Mais déjà le groupe est sur le déclin : les uns après les autres les membres sont appelés sous les drapeaux (rappel pour les plus jeunes, à l'époque il y a le service militaire),  quant à leur chanteur Eddy Mitchell, sa carrière solo est devenue sa priorité tandis quela mode du rock'n roll est sur le déclin.
Et il faut bien avouer que le groupe a été une bonne vache à lait pour certains, sans vrai souci de leur carrière artistique.

Et pourtant, 60 ans après, leurs chansons restent dans les mémoires malgré leur éphémère carrière, car le rock'n roll ne mourra jamais vraiment.