06 avril, 2024

Sunny : histoire lunaire d'un titre solaire

Il y a 60 ans, un homme composait une chanson qui allait devenir un des titres les plus repris à travers le monde.

Cet artisan de la musique, ne jouissait que d'une notoriété locale et encore aujourd'hui, malgré ce succès, beaucoup ignorent son nom, attribuant sa paternité à un groupe qui n'a jamais écrit ni même chanté une note !
Plus cruel encore, son auteur aurait pu être complétement oublié tandis que sa chanson prenait vie à des milliers de kilomètres de lui.

Laisse moi te raconter la drôle d'histoire de Sunny, un titre porteur d'optimisme derrière des paroles faussement sibyllines.

 

 

La genèse d'un tube

Lui, c'est Robert Alvin Von Hebb, dit Bobby Hebb.

 

 

Né le 26 juillet 1938 à Nashville (Tennessee), il est plongé tout bébé dans le bain musical par ses parents, William et Ovalla, tous les deux musiciens et aveugles.
Bobby a trois ans quand avec son frère Harold, de trois ans son aîné, il fait ses premiers pas dans le spectacle au chant et à la danse.
Plus tard, engagé dans une émission de télé, il rejoindra diverses formations, assurera les chœurs pour Bo Diddley. Devenu multi-instrumentistes (trompette, cuillers, piano, guitare), il compose aussi.
Bobby n'est pas une star mais il a réussi à se tailler une notoriété dans l'univers grouillant de la soul et du jazz de Nashville.

La journée de merde de Bobby

On est en 1963, novembre touche à sa fin.
Pour tous les Américains, se sera une période sombre. Pour Bobby, se sera une descente aux enfers.

Le 22 novembre, à Dallas, le président John Fitzgerald Kennedy est assassiné.
Comme son nom ne l'indique pas forcément, Bobby est noir et comme pour toute la communauté afro-américaine, cet assassinat est un séisme car le jeune président portait tous leurs espoirs.
Mais pour Bobby, le jour d'après sera encore plus funeste.

Le 23 novembre, une bagarre éclate à l'entrée d'une discothèque du quartier ouest de Nashville entre un client qui refuse d'ôter son chapeau et le personnel de la boîte.
D'après l'enquête, Harold Hebb aurait tiré sur le récalcitrant ; dans la bagarre qui s'ensuit, il sera poignardé à mort par un homme qui attendait à l'extérieur .

Une catharsis en chanson

Beaucoup s'effondreraient mais Bobby Hebb refuse le "chaos".

Pour exprimer sa douleur et la combattre, il se réfugie dans ce qui fait sa vie depuis son enfance, la musique.
De nombreux artistes ont évoqué des chansons qui leur seraient "venues toutes seules" et il semble que ce fut le cas pour Bobby Hepp si l'on en croit une interview accordée plus tard sur la chaîne YT de la branche allemande du label Trocadéro.

Il faisait sombre quand j’ai commencé à travailler sur la chanson, et le soleil se levait, et il était d’une couleur différente, le ciel était violet. À ce moment-là, je n’avais pas réalisé à quel point [la chanson] deviendrait spéciale. Je pensais que c'était bien et que ça aiderait, mais je ne savais pas à quel point… le président avait été assassiné et le lendemain mon frère a été tué. Tout le monde se sentait plutôt négatif à ce moment-là et je pense que nous avions tous besoin d’un coup de pouce.

Dans cette atmosphère étrange, il repense à un succès sorti onze ans auparavant chez le label Sun Records, Just Walking in the Rain, écrit par deux taulards du pénitencier d'état de Nashville, Johnny Bragg et Robert Riley, et interprété par leur groupe formé entre les murs de la prison, The Prisonnaires.

 

Alors que coup sur coup ses espoirs civiques de noir américain sont remis en question et qu'il a perdu son frère, ami et mentor, au delà des larmes, les mots et les notes coulent tous seuls.

► Paroles et traduction

Les paroles et la mélodie me sont venues en même temps. Les paroles parlaient d’elles-mêmes, elles produisaient la mélodie. C'était juste là. Sous mes doigts, il ne me restait plus qu'à y jouer… J'étais au bon endroit, au bon moment, dans le bon état d'esprit. J’étais prêt à recevoir ce qui m’était proposé.

Écrite "à l'instinct" en 48 heures, Sunny ne comporte par de refrain.
Mais tandis que ce mot revient comme un mantra appuyé, chaque orchestration qui suit se fait plus dense, plus intense, partant de la simple guitare pour finir en une sorte d'apothéose portée par l'orchestre et les chœurs.
Chaque strophe est à la fois un hommage au frère disparu mais aussi un formidable message d'optimisme et de volonté "d'ensoleiller" la vie.
Bobby Hebb enregistre une démo de Sunny à New-York où les professionnels qui l'entendent reconnaissent la qualité du morceau. 

 

La démo "baladeuse"

L'accueil du public devant qui Bobby Hepp interprète sa chanson est tout aussi favorable, au point que le titre est inclus à une démo enregistrée en... mystère et boule de gomme car les infos sont aussi contradictoires que peu étayées.
Si le nom du producteur new-yorkais Jerry Ross apparait régulièrement, le fait qu'il n'intègre Mercury Records qu'en 1965 pose la question de la chronologie au regard de ce qui suit.
La seule chose qu'on peut affirmer c'est qu'une démo a bien été enregistrée avant l'enregistrement officiel par son auteur en 1966, et probablement avant 1965.

Sunny au Pays du Soleil Levant : premier succès

Japon, 1965. Après la capitulation, les troupes américaines sont fortement implantées sur le territoire japonais.

Elle, c'est Mieko Hirota, dite aussi Miko.

Née à Tokyo le 5 février 1947, elle vit la mutation de son pays qui au sortir de la guerre mêle aux traditions ancestrales la modernité américaine.

Elle est fan de jazz et de pop américaine et, adolescente, elle fréquente la banlieue de Tokyo, Tachikawa, un bastion des troupes US où se jouent les derniers tubes à la mode de l'autre côté du Pacifique..
Elle fait ses premiers pas quand elle n'a que 14 ans puis, quatre ans plus tard, elle sera la première chanteuse japonaise invitée au Newport Jazz Festival, près de New-York.

Cette même année la fameuse démo "baladeuse" arrive par on ne sait quel chemin détourné sur l'ile nipponne.

Toujours est-il qu"en 1965 Mieko Hirota entre en studio pour les prises de son de ce qui restera la première version enregistrée de Sunny qui figurera sur son album "Hit Kit Miko vol.2" sorti le 20 octobre de cette même année chez Colombia.

Cette première version enregistrée, plus jazz, où la contrebasse prend le pas sur la batterie pour assurer la partie rythmique, est plus intimiste, plus nostalgique que la version de son auteur.
La voix de crooner de Mieko Hirota, chaude et étonnamment grave pour une jeune asiatique de 18 ans, se pose sur un tempo plus lent et crée une ambiance pleine d'émotion.

 

 Ce sera un tube national, qui fera de la jeune japonaise une des premières stars de ce qu'on appellera plus tard la J-Pop. Ce sera aussi la première version que les troupes américaines d'occupation entendront, avant de découvrir l'original !

En attendant Bobby...

Cet original qui ne sort toujours pas !

Pourtant un autre artiste va s'en emparer à son tour, une semaine environ après la sortie de l'album de Mieko Hirota.
Il s'agit du vibraphoniste Dave Pike qui place Sunny en piste 3 sur son album "Jazz for the Jet Set", sorti entre le 26 octobre et le 2 novembre 1965.
Qu'on est loin de l'émotion distillée tant par son auteur que par la jeune crooner japonaise !
C'est un Sunny pour cabine d'essayage de grand magasin de luxe, un jazz intellectualisé au point de détourner du genre le public un peu primaire qui préfère l'instinctif à la branlette neuronale, telle votre servante ! 

Trois ans de gestation et plein d'enfants

Trois ans après la composition de ce morceau, cette étrange saga va enfin connaître son dénouement. Enfin !

Bobby Hebb : une reconnaissance méritée

Après avoir entendu les démos (dont certaines se sont visiblement baladées dans la nature !) le producteur new-yorkais fait enfin rentrer Bobby Hebb en studio pour enregistrer l'album "Sunny" et le single éponyme au début de l'année 1966.

Il était temps car la chanteuse Cher préparait de son côté son troisième album "Cher" sorti en octobre et sur lequel Sunny figure en titre d'ouverture !

Quand le single sort le 21 février, il fait un carton !

Numéro 2 au Billboard Hot 100, numéro 3 des charts R&B, Sunny propulse Bobby Hebb à la 12ème place au Royaume Uni. ce qui vaut au chanteur d'être en première partie sur la tournée des Beatles. Il réussira même à les surpasser dans le classement des Billboards !
L'Europe découvre à son tour ce titre.

Si la réalisation de cet album signe le dénouement d'une longue attente et d'une saga inattendue, elle est très loin de signer la fin d'un titre solaire.

Sunny, le soleil brille encore

On peut trouver réducteur, sinon injuste, que la postérité ne retienne qu'un titre d'un musicien tel que Bobby Hebb.
Mais quel titre !

Cette message d'optimisme écrit en 48 heures sous le coup du traumatisme, Bobby Hebb n'aura de cesse de le répéter, comme à l'hebdo Nashville Scene en 2000.

Votre tempérament est "ensoleillé"... Soit vous avez un caractère ensoleillé, soit vous avez un caractère moche… Au lieu de semer la confusion et de créer le chaos, faisons de cette journée une journée agréable pour tout le monde.
Diffusez ce genre de nouvelles pour que vous puissiez devenir un peu plus détendu et ne pas être rempli de chaos, car le chaos peut devenir meurtrier.

Quand il disparait le 3 août 2010, son message ne s'éteint pas avec lui.

 

Sunny, l'histoire lunaire d'un titre solaire

 

Des centaines de reprises à travers le monde

Si paradoxalement Sunny fut repris avant même sa sortie officielle, pendant et après le décès de son auteur les artistes les plus divers ont relayé son message.

En 1976 Bobby Hebb va lui-même signer une reprise de son tube en mode disco-funk, grillant ainsi la politesse à un "groupe" qui en sortira à son tour une des reprises les plus connues, Boney M. Plus sobre, la version de l'auteur.

Sans atteindre le chiffre astronomique du nombre de reprises de Summertime, Sunny sera décliné en 791 versons par 411 artistes (source Music Me), de Ella Fitzgerald à Traum A en passant par d'autres, plus inattendues.

La petite polémique

Cher Melomaniac, à l'écoute de la version de Bobby Hepp, ton oreille exercée a dû se dresser en entendant cette petite ligne musicale qui t'as immanquablement fait penser à... James Bond.
Il n'en fallait pas moins pour que certains posent l'éternel débat de l'œuf et de la poule !
Qui a copié l'autre ?
Je ne trancherai pas, car à dire vrai, je m'en fous un peu, beaucoup.
Mais étant curieuse, j'ai écouté le thème du premier James Bond contre Dr No, sorti en janvier 1963.
Bon, mouais... mais les opus suivants reprendront presque à la note près cette petite ligne musicale. 
Faut-il vraiment en faire une omelette ?

Pour vous mettre du soleil et de l'espoir au cœur, je vous laisse avec Sunny, autrement.
Les 9 premières reprises datent de 1966 mais pour le plaisir, j'ai invité un interprète inattendu, Robert Mitchum (1967) et bien sûr les incontournables acteurs de Boney M.

 

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