"La Nostalgie n'est plus ce qu'elle était"1
Quoiqu'en dise Madame Simone Signoret, la nostalgie reste ce qu'elle est.
Un petit pincement au cœur ou au contraire une réminiscence joyeuse, le souvenir d'une danse, d'un premier baiser ou le regret d'une époque, même si on n'a pas vécu dans le même espace temps.
Comme ce bon vieux temps du swing, qui fait claquer des doigts, taper du pied tout en évoquant les jupes amples et les coiffures laquées des élégantes enlaçant quelque GI à Honolulu.
Comment ça j'étais pas née ?
Ben non ! Mais dès qu'un bon vieux swing me met le marteau en action, paf ! Derrière mes rétines défilent des images de films surannés.
La petite histoire du swing
Comme nous l'avons souvent vu dans ces colonnes, la musique est souvent le reflet d'une société à un instant T de son histoire.
Le swing n'échappe pas à la règle.
De la Nouvelle Orléans à New York
Aborder l'histoire du swing sans évoquer le jazz, ce serait comme dresser un arbre généalogique sans évoquer ses aïeux.
Sans pour autant dresser un historique détaillé, je vais tenter de revenir sur les origines du swing.
Aux origines du swing : le jazz
Aux premiers temps était le jazz.
Quand on est noir, esclave, qu'on se voit dépossédé de sa condition d'humain, on a de la douleur à exprimer. Pour peu qu'on soit noir, esclave et vivant dans le sud des États Unis, ça fout sacrément le blues ! (ok ! celui-là, il est pour moi !).
Dépouillés de leur identité africaine et interdits d'intégration à la société WASP2, leur seule "interaction" avec le monde blanc passe par le labeur et la conversion forcée au catholicisme. Quant à l'accès à la culture, à part celle du coton ou du tabac, autant ne pas y songer.
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Louis Armstrong beginning |
A la musique africaine aux variations rythmiques très fantaisistes pour un esprit européen qui aime les mélodies structurées, ils ajoutent d'abord des touches des chants religieux imposés par les blancs, reprenant le principe des répons liturgiques. Sur ce principe naîtront le negro spiritual et le gospel.
Au fil des décennies s'ajouteront les instruments de musique "de base" tels la batterie pour la section rythmique, la trompette ou le saxophone3 que le jazz imposera comme instrument solo.
A la Nouvelle Orléans, capitale de ce nouveau genre musical, les musiciens enrichiront leurs compositions de l'influence créole et hispano que l'on entend selon le quartier où on vit.
"Rien de bien original" me diras-tu cher Mélomaniac. Si, pourtant.
Car si les Noirs Américains ont intégré les éléments mélodiques de la musique européenne, ils les ont adaptés à la musique africaine en donnant priorité à l'improvisation, au rythme, prenant le contre-pied de l'exécution parfaite recherchée par les Blancs. Même les fausses notes ne sont plus péchés !
La mesure telle que nous la connaissons, qui s'appuie sur les temps impairs, est tournée en dérision en s'appuyant sur les temps pairs.
De cette acculturation nait une musique libre, fantasque, enthousiaste et instinctive, une musique qui paradoxalement devient identité culturelle américaine et qui va conquérir le monde : le jazz.
Mais une des plus grosses crises économiques du XXème siècle va provoqué une mutation du genre.
Un New Deal et new sound
Le jeudi 24 octobre 1929 ou "jeudi noir", le Krach de Wallstreet plonge les États Unis dans la Grande Dépression. Cette crise touchera ses partenaires économiques et industriels avec les conséquences historiques qui suivront.
Le taux de chômage explose (25 %) et dans ce pays où l'épargne est marginale, le prolétariat et les agriculteurs américains sont plongés dans une misère noire et sans mauvais jeu de mot, la situation des afro-américains est dramatique.
Le président républicain Herbert Hoover tente de mettre en place un programme qui fait pshitt, ce qui lui coûtera sa réélection au profit du démocrate Franklin Delano Roosevelt.
Dès le début de son mandat, celui-ci fit voter un paquet de lois ambitieuses afin de relancer l'économie mais aussi le moral des Américains. C'est le premier New Deal.
Sans donner dans un socialisme débridé, le New Deal rompt avec la doxa en instituant plus d'interventionnisme de l'état "providentiel" dans les domaines du chômage, des retraites etc.
Et ça marche !
L'économie et la consommation reprennent des couleurs, le moral du pays remonte... et la musique va porter cette vague d'espoir retrouvé, à l'instar de la folie charleston des années folles de l'entre deux guerres.
Le big bang des Big Bands
Avec le retour de l'optimisme généré par le premier New Deal, le jazz lui-même est gagné par l'euphorie. Ce qui n'avait été qu'une ébauche dans les années 20 (avec la période charleston) va devenir un vrai phénomène culturel.
Ça balance pas mal à NY ♫
Aux formations habituelles (du quartet au sextet) vont succéder des orchestres d'une vingtaine de musiciens, les Bigs Bands.
Sous ces nouvelles configurations, le jazz va connaître une nouvelle évolution qui s'adapte à l'humeur du moment.
Alors que le jazz New Orleans fait la part belle à un soliste, dans les Big Bands tous les instruments peuvent se lancer à tour de rôle dans des soli, souvent improvisés.
L'autre changement, et pas des moindres, réside dans le changement rythmique.
Une partie de la rythmique (telle la contrebasse par exemple) va accentuer les temps pairs tandis qu'une autre partie de la rythmique (la batterie) va accentuer les temps ternaires.
Il en résulte une musique plus dansante encore et qui balance : le swing.
Il suffit de comparer la version de Swing Low, Sweet Chariot de Tommy Dorsey (dans la playlist) avec celle de Louis Armstrong pour illustrer cette "mutation".
C'est une explosion de bonne humeur !
Les Nicholas Brothers que je vous présentais ici sont au tout début de leur succès.
La Swing Era des années 30 à 1945
Avec ce nouvel avatar du jazz, celui-ci quitte son berceau louisianais pour vivre son âge d'or à New-York.
Le swing fait fureur dans les clubs new-yorkais dont le plus célèbre est le Savoy Ballroom à Harlem.
Les Big Bands s'affrontent en de talentueuses battles, rivalisant de virtuosité et de rythmes.
Les Blancs adhèrent à ce nouveau style et des musiciens blancs tel le célébrissime Glenn Miller en seront un vecteur de popularité auprès du public blanc, même si les WASP continuent à froncer le nez.
Grâce au swing, le Lindy Hop apparu dans les années 20 va enflammer le dance floor des clubs.
Cette danse "de salon" (à condition d'avoir un très grand salon !) qui fait la part belle à l'improvisation, mêle plusieurs styles qui permettent des enchaînements de figures improbables pour le commun des mortels.
Dans les clubs, on assiste là aussi à de véritables battles entre couples de danseurs, dans une joie et une bonne humeur qui contribueront largement à l'engouement pour le swing de ce côté-ci de l'Atlantique où la crise a laissé des traces.
Swing is not dead
Si les musicologues s'accordent quant à la durée de la Swing Era, le swing a perduré jusqu'au années 50 mais il n'a jamais disparu depuis.
Les crooners s'en sont très largement emparé tandis que les comédies musicales en reprenaient le tempo joyeux et les pas.
Plus tard le rock s'en inspirera fortement, avec même la création d'un courant rock swing avec une mesure en 6 temps qui enflammera les soirées.
Aujourd'hui encore les fans se retrouvent dans des compétitions de danse endiablées qui reprennent les codes des battles de Lindy Hop.
Tout comme son parent le jazz, le swing a passé le siècle et continue à nous faire taper du pied et des mains avec une bonne humeur qui ne se dément pas.
Notes
1↑ Titre du l'autobiographie de l'actrice Simone Signoret parue aux éditions du Seuil en 1976
2↑ Acronyme pour White Anglo-Saxon Protestant (Blancs anglo-saxons protestants) qui désignent les premiers colons britanniques puis par estension les Hollandais ou Allemands, également protestants. Les WASP se considèrent comme l'élite de la population américaine, de laquelle sont exclues les vagues migratoires suivantes, catholiques.
3↑ Instrument inventé par le Belge Adolphe Sax en 1846 alors qu'il cherchait à améliorer les performances de la clarinette.
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