Depuis que le monde est monde les Cultures se sont construites et on évolué en s'ouvrant aux autres, grâce à ceux qui sont arrivés à la conclusion que l'autre n'est pas forcément un ennemi.
L'expression musicale (tout comme l'expression orale) en est une constante illustration, qui a fait évoluer la Musique vers un universalisme auditif. Au fil des emprunts et des acculturations de nouveaux genres sont nés, comme le jazz mais aussi le raï tel que nous le connaissons aujourd'hui.
Petite virée culturelle en raï !
L'émergence du raï en France lors des deux dernières décennies du XXème siècle a bénéficié d'une promotion par l'industrie musicale qui en donne une image erronée auprès des Français dits "de souche" (comme un vieil arbre mort ! 😁).
Un bref historique nous rappellera que ce n'est pas un phénomène de mode.
Le raï, des campagnes algériennes aux "blacks blancs beurs"
Devenu résolument contemporain, le raï plonge ses racines au début du siècle dernier dans la campagne algérienne et la tradition des bédouins.
Musique portée par les femmes ou groupes féminins (les medahates), elle était initialement de type religieux et louait Allah et le Prophète en arabe vernaculaire, simplement accompagnée de percussions traditionnelles. Elle ponctuaient fêtes religieuses ou fêtes familiales, comme les mariages.
Vers 1930 le raï a connu une première évolution.
Sans que disparaisse les medahates et leurs chants sacrés, des groupes vont consacrer leurs chants à la tradition poétique algérienne (melhoun) en arabe maghrébin compréhensible par l'ensemble de la population malgré les variations dialectiques d'une région à l'autre. Les maîtres et maîtresses (cheikh et cheikha), vont aborder des thèmes tels que l'amour, les valeurs morales en plus des thèmes sacrés.
En même temps qu'il s'étend au delà de l'ouest algérien, le raï va évoluer tant des les thèmes abordés que dans son exécution musicale.
Sans rompre avec les thématiques traditionnelles, le raï va aborder des thèmes plus profanes puis sociétaux.
Il devient plus licencieux en abordant des thèmes pas très "coraniques" : le plaisir, l'alcool, mais aussi des sujets de société. Si dans les campagnes de l'ouest algérien, son berceau, il reste encore figé dans la tradition, il "parle" désormais à un public plus urbain, notamment dans les souks.
Ces thématiques seront d'abord portées par les hommes tandis que le raï évolue musicalement avec l'apparition d'instruments traditionnels qui s'ajoutent aux percussions.
Nous sommes dans les années 30, le raï commence sa mutation.
Cheikha Rimitti, la "mère" du raï moderne
Née près de Sidi Bel Abbes le 8 mai 1923, Sadia Bedief est un personnage !
Orpheline, elle sera élevée par des "patrons" qu'elle quittera pour suivre des musiciens ambulants. La vie ne lui fait pas vraiment de cadeau : elle connaîtra la grande précarité, l'illégalité, les trahisons et les violences.
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Cheikha Rimitti - Photo Robin Little ©Getty |
Aux alentours de 1943 elle se lance dans la chanson et sera la première femme accompagnée par un orchestre.
Profondément croyante (elle ira à la Mecque), elle chante l'islam de la tolérance et de la bienveillance mais, si elle ne bouleverse pas les codes musicaux du raï, elle va en faire le vecteur d'une parole libérée. De sa voix de baryton, tantôt parlant, tantôt chantant brutalement, elle s'adosse à son expérience personnelle pour chanter ses propres textes et... elle n'y va pas de main morte !
C'est le malheur qui m'a instruite
Analphabète, elle n'a pas besoin de papier ni de crayon pour écrire ses textes, elle les porte en elle. Cash; volontiers trash, elle aborde des sujets qui font dresser les cheveux aux défenseurs des "bonnes mœurs". Elle ne s'interdit rien, la pauvreté, l'amour, le deuil, la guerre, l'émigration, la dignité, l'honneur, l'alcool, le sexe et la liberté, sujets graves mais qu'elle habille de dérision et d'humour.
Après l'indépendance, elle sera souvent censurée par les gouvernements algériens.
En 1978 elle s'installe en France, à Paris dans le 18ème. Elle chante dans les cafés du quartier puis, plus tard, dans des festivals où elle fera découvrir le raï à un public de plus en plus large.
Elle inspire les futures vedettes françaises du raï qui la vénèrent.
Le raï moderne a droit de cité à l'Unesco
En Algérie le raï va évoluer musicalement et s'étendre à tout le Maghreb pour enfin traverser la Méditerranée.
Les années 60 et 70 vont ouvrir l'âge d'or du genre.
Le raï oranais va s'enrichir de nouvelles sonorités apportées par les Berbères ou encore par le châabi, chant populaire algérois (Ya Rayah de Rachid Taha), et plus tard de sonorités andalouses (Alabina) ou reggae (Jimmy Oihid).
La guitare électrique et l'accordéon viennent compléter les instruments traditionnels. Si ça désespère les traditionalistes conservateurs, cette évolution va toucher les plus jeunes.
Que ce soit pendant la période coloniale ou après l'indépendance, le raï était considéré comme subversif pour des raisons différentes. Trop "communautariste", véhiculant de stupides idées d'indépendance pour les uns, trop "libertaire" pour les gouvernements à tendance "islamo-droitiste" (ah ben ça change !), les uns et les autres ont en commun d'avoir tenté de circonscrire son influence sur les populations en évitant sa large diffusion.
L'invention de la cassette allait battre en brèche ce protectionnisme culturel en permettant une large diffusion hors des circuits officiels mais également au delà des frontières algériennes.
A noter au passage que le gouvernement algérien ne reconnaîtra officiellement le raï qu'en 1985.
En France, le raï véritable phénomène culturel.
Si pour les anciens la Cheikha Rimitti c'est un peu du bled au cœur de Paris, pour les plus jeunes c'est une découverte culturelle d'un pays qu'ils ne connaissent pas. La mélodie les touche mais aussi ces textes modernes qui évoquent des problématiques communes aux deux côtés de la Méditerranée.
Tout comme les Bretons de Montparnasse retrouvent leurs racines avec gavottes et ridés, les jeunes de la deuxième génération découvrent les leurs.
Les cassettes rapportées ou envoyées du pays rythment les ambiances dans les bars où se produisent à l'occasion des petits groupes amateurs.
Entre traditions et acculturation, cette musique va inspirer des artistes tels Cheb Kader, Cheb Mami puis Cheb Khaled qui furent les premiers piliers du raï hexagonal, même si Dalida y fit une incursion en 1977 avec son titre Salma ya Salama.
Alors que Pasqua dégainait sa première loi immigration (1995) tandis que Chirac évoquait "le bruit et l'odeur", le groupe Carte de Séjour de Rachid Taha distribuait son single Douce France, reprise de Charles Trénet, au sein de l'Assemblée Nationale.
La coupe du Monde de foot n'est pas encore gagnée (1998) mais la jeunesse française n'a pas attendu pour se découvrir Black Blanc Beur et s'enthousiasmer sur le raï français.
Ce phénomène culturel attire l'attention des media (Libération, Le Point, le Nouvel Obs...) et de compositeurs français tels Jean-Jacques Goldman qui signera Aïcha pour Khaled.
Sortie en novembre 1997, la compilation "N°1 Raï" cartonne et pas seulement auprès du public beur. La victoire de la France lors de la Coupe du Monde fait souffler un vent de fraternité bienvenu après les délires racistes de la droite (rassurez-vous ! la haine est de retour).
1998 c'est aussi l'énorme concert "1, 2, 3 soleils" (clin d'œil au film de Bertrand Tavernier dont Rachid Taha signera la B.O.) qui réunit Cheb Kaled, Faudel et Rachid Taha. Celui-ci raconte au Nouvel Obs comment est venu l'idée de ce concert :
C'est parti d'une blague de Pascal Nègre, le boss de Polygram. Nous avions fait la une des "Inrockuptibles" avec Mami et Faudel. Il m'a dit : "Qu'est-ce que tu penses des Trois Ténors version bougnoule?" On ne pouvait pas ne pas le faire..."
Raï traditionnel ou raï moderne pluriculturel, en 2022 il entre sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l'UNESCO, non seulement pour sa valeur artistique mais aussi pour son rôle d'émancipation. Pour l'anecdote, cette même année la harissa marocaine rejoint cette liste... ce qui ne manque pas de piquant !
Outre les titres de cette compilation, vous découvrirez dés boni "coups de cœur" : Cheikha Rimitti dont le titre Sinia_Halouha est repris plus loin par l'Orchestre National de Barbès qui témoigne de l'évolution du raï, Amina Alaoui et sa voix pure et bien sûr les 3 "ténors" avec Abdel Kader.
Yalla ! Yalla ! Bon voyage en raï !
je t avoue que ce n est pas trop ma tasse de thé... par contre j adore la musique égyptienne... gros bisous
RépondreSupprimerAhi c'est du bon ça, j'aimais bien, années 90' ...... merci du partage, passe une bonne soirée de mercredi, bisous
RépondreSupprimerHello Mamyvel
SupprimerComme je l'explique, le raï est bien antérieur aux 90s.
Mais c'est vrai que ça a marqué un tournant dans la chanson française.
Bisous