Mouloudji - "Le poulbot de Belleville"

 Mouloudji.

A la fois connu et méconnu, discret mais n'hésitant jamais à affirmer ses convictions libertaires, chantant les textes des autres en faisant oublier ses propres compositions, pourtant nombreuses. 

Celui que certains ont baptisé "le poulbot de  Belleville" a la sensibilité des écorchés vifs, qu'il cache  derrière son sourire d'éternel adolescent et la voix légèrement cassée de ceux qui crient en silence.

Cet artiste aux talents multiples, n'est pas ce qu'on peut appeler un "grand chanteur" mais sa voix a porté des succès populaires.
Demandez-vous si c'est vraiment un hasard si vous aimez les coquelicots...

Mouloudji : le chanteur prolétaire

Il y a des artistes qui prennent la lumière et qui ne peuvent pas vivre sans, même si leur talent n'est pas toujours à la hauteur de l'adulation du public.
Il y en a d'autres, plus rares, qui font leur métier avec passion et discrétion, loin de l'illusion médiatique et qui pourtant tisse un lien indéfectible avec un public qui leur reste fidèle.
Pourquoi ? Parce qu'ils ont du talent, mais aussi parce que le public aime la sincérité.
Mouloudji est de ceux-là.

Un poulbot chez les intellos

Né à Paris dans le quartier de Belleville en 1922 d'un père kabyle et d'une mère bretonne, le petit Marcel n'a pas la vie des quartiers dorés ! 

Quand il a dix ans il connaît une profonde blessure, celle de l'internement de sa mère, alcoolique, pour désordre mental.
Le père, un ouvrier, fait ce qu'il peut pour élever ses deux fils qui font des petits boulots de rue, dont celui de chanteurs. Le petit Marcel connait sa première expérience avec la caméra dans un film sur Ménilmontant, à 11 ans.
Papa Saïd emmène le jeune Marcel à des réunions du Parti Communiste et, adolescent Marcel s'engage dans les Faucons Rouges, association issue du PC.

Vers une carrière d'acteur

1935 marque la rencontre de Marcel Mouloudji avec le monde du théâtre.
Sylvain Itkine d'abord, membre du Groupe Octobre1 qui l'incitera à chanter, mais surtout Jean-Louis Barrault qui le prend sous son aile, allant jusqu'à l'héberger. Cette rencontre est parrainée par l'auteur Marcel Duhamel qui initie le jeune Mouloudji à la littérature et à la poésie. Marcel Mouloudji se lance dans la vie artistique qui soutient le Front Populaire en 1936.

Mouloudji (au centre)-Les Disparus de Saint Agil

Sa carrière cinématographique commence à cette époque, avec entre autres une apparition remarquée dans le célèbre film de Christian Jaque, coécrit par Jacques Prévert, "Les disparus de Saint Agil", en 1938.
Toute sa vie, Mouloudji évoluera entre poésie et engagement.

Pendant la guerre il est contraint de vivre dans une semi clandestinité (le climat est malsain pour les militants et sympathisants communistes !). D'abord obligé de se réfugier en zone "nono" à Marseille, il remonte à Paris où il fréquente Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir.

A cette même époque il écrit un livre de mémoires (à 20 ans !) pour lequel il recevra le Prix de la Pléiade en 1947.

Après la guerre il devient une des figures du milieu artistique de la Rive Gauche.
En 1947 il commence à s'intéresser à la peinture et il fréquente Jacques Prévert et Boris Vian qui écrira de lui :

C'est un de ces garçons qu'on regrette de ne pas voir plus souvent ; mais il fait tout ce qu'il fait avec un talent indiscutable et c'est pourquoi on hésite à le déranger: il travaille pour nous

Sacré compliment venant de cet artiste souvent cynique et peu amène envers ses contemporains.

Mouloudji le chanteur

Mouloudji s'intéresse de plus en plus à la chanson tout en continuant sa vie d'acteur. Dans les cabarets de Saint Germain des Prés il chante Boris Vian.
Le premier succès arrive quand il interprète La Complainte des infidèles extraite du film "La Maison Bonnadieu" en 1951.

1953. Jacques Canetti, le directeur du cabaret Les Trois Baudets, lui fait enregistrer le titre qui l'imposera dans la chanson : Comme un p'tit coquelicot. 

 
Plusieurs fois primé ce titre sera aussitôt suivi par un autre succès Un jour tu verras, extraite du film "Secrets d'alcôve". 

A cette même époque, Jacques Canetti a un autre protégé, un jazzman un peu loufdingue qui tente de percer dans la chanson avec des textes décalés. C'est Boris Vian.
Ses deux protégés viennent de mondes aux antipodes l'un de l'autre et pourtant leur collaboration sera entière et fructueuse, l'un admirant l'autre (voir citation plus haut).

Le 7 mai 1954 la France connait la sévère défaite de Dien Bien Phu en Indochine, et ce jour même Boris Vian crée la chanson Le Déserteur, chanson que l'antimilitariste Mouloudji mettra tout de suite à son répertoire.

A la fin des années 50 il met fin à sa carrière d'acteur pour se consacrer à la chanson, à l'écriture et à la peinture.
Quelle destinée pour ce gamin de Paris, fils d'ouvrier !
Pourtant il restera toujours modeste, considérant que la vie lui a offert une chance instimable, comme il le confie à Jacques Brel en 1967.

 

Fidèle à lui-même, Mouloudji créera sa propre maison de disque sous forme de coopérative (il lancera même un certain Greame Allwright !). Pendant mai 68, il chantera pour les ouvriers dans les usines en grève.

Mouloudji ne connaîtra jamais les grandes diffusions sur les radios ou les passages dans les grands shows vedettes de la télé.
C'est peut-être Jacques Pévert qui explique le mieux la raison du succès de Mouloudji.

Quand j’ai rencontré Mouloudji, c’était un enfant, un petit garçon. Il n’avait pas ce qu’il est convenu d’appeler une jolie voix, mais une voix vraie, vivante, troublante, drôle et parfois déchirante, c’était la sienne, la voix des rues, la voix du cœur, il a grandi mais il chante pareil. De là son charme

Square Marcel Mouloudji Paris 19ème

Dans ce monde où les intégrismes pourrissent tout, Mouloudji, avec beaucoup d'humour, se décrivait ainsi dans sa chanson Autoportrait :

Catholique par ma mère, musulman par mon père, un peu juif par mon fils... et athée ô grâce à Dieu !

Posés tranquillement sur un banc du square qui porte son nom au pied des nouveaux immeubles de son quartier, peut-être rêverons nous d'une âme sœur, loin des clivages idéologiques, tandis qu'une voix accompagnée du bruit de la fontaine chantera "Un jour tu verras, On se rencontrera, Quelque part, n'importe où, Guidés par le hasard…♫".