God Save the King ou "Vive la France !"

Pour la républicaine prolétaire un brin rouge que je suis, certaines monarchies sont des anachronismes, notamment la monarchie britannique.

C'est dire si entre les funérailles de la Queen et le couronnement du King Charles, ma télé a vécu des heures dangereuses sous la déferlante d'images pour midinettes qui rêvent encore de princes charmants et les commentaires qui firent concurrence à toute la profession des cireurs de pompes.
Et ce n'est sûrement pas le "pognon de dingue" qu'ont coûté ces cérémonies qui me fera changer d'avis ! Alors que des Britanniques ne font qu'un repas sur 4 et que la crise du Brexit commençait, ce furent pour les obsèques de la reine 160 M£ et 72 M£ pour le fiston, soit environ 280 M€ ! 

Ayant, je l'avoue, le plaisir mesquin, chaque fois que retentit le God save the King je souris benoîtement en me rappelant son origine.

Un chant français pour la Couronne britannique

Il faut remonter jusqu'en 1688 pour trouver l'origine de l'hymne britannique. A cette époque c'est le roi Jacques II (Stuart) qui règne sur l'Angleterre et il présente deux tares rédhibitoires : il est catho et il veut instaurer une monarchie absolue à la française.

Et ça ne plait pas du tout aux anglicans qui se chargent de lui faire savoir au cours de la Grande Révolution, obligeant le monarque à s'exiler sous des cieux plus cléments.

Versailles : le tube de l'année 1686

Deux ans auparavant, Louis XIV a souffert d'une fistule anale, un truc assez dégueu qui de nos jours s'opère très bien mais en 1686 ce n'était pas le cas.
Pour soulager le roi, ses médecins tentent le tout pour le tout et se livrent à une intervention chirurgicale révolutionnaire pour l'époque. C'est un succès, le Roi Soleil s'en remet parfaitement et ça se fête.
Pendant la convalescence du Roi le compositeur de la Cour (un peu lèche-cul aussi mais à l'époque on disait "courtisan"), Jean-Baptiste Lully (voir M4H #4) compose un air qu'il intitule Dieu sauve le Roi.

Un tube dans la Manche

Jacques II a traversé la Manche pour se réfugier chez son cousin français, Louis XIV.
Ce dernier l'héberge au château de Saint Germain en Laye où Jacques met sur pieds des débarquements afin de reconquérir son trône.

Cet air est devenu si populaire qu'il finit par arriver aux oreilles du roi déchu qui l'apprécie énormément, au point qu'il décide d'en faire son futur hymne quand il remontera sur le trône d'Angleterre.
Il ne lâchera jamais l'affaire, organisant des débarquements armés qui échoueront tous et en attendant que le Dieu sauve le Roi devienne l'hymne de son royaume, il devient le chant de ralliement patriotique de ses partisans, les Jacobistes.
Jacques II Stuart ne reverra jamais son pays mais les jacobistes ne cesseront de tenter d'imposer ses idées.

Détournement et appropriation

La Reine Anne Stuart meurt en 1714 sans laisser d'héritier à la Couronne. L'Acte d'Etablissement signé en 1701 fait de George de Hanovre son successeur sur le trône.

Les jacobistes qui le considèrent comme un usurpateur continuent leurs opérations militaires mais en 1745, quand le descendant de Jacques II Stuart, Charles Edward Stuart, lance un ultime raid, il devient évident que face aux tuniques rouges de celui qui est devenu George II (couronné en 1727), les jacobistes n'auront aucune chance de remporter la victoire.

L'ultime pied de nez aux Stuart

A la défaite militaire, George II ajoute un camouflet idéologique afin d'effacer définitivement les épisodes jacobistes de l'histoire : il s'approprie leur chant patriotique et en confie la traduction au pasteur Henry Carrey et l'arrangement musical au compositeur royal Georg Friedrich Haendel.
Ainsi est né le God Save the King.

L'hymne le plus joué à travers le monde et les époques.

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, God save the King n'est pas l'hymne national officiel de la Grande Bretagne, qui n'en a pas.
Joué depuis la moitié du XVIII^ème siècle, l'usage fait qu'il en tient lieu.

Si on excepte le changement de titre et de refrain selon le changement de sexe du souverain, cet hymne est resté inchangé depuis trois siècles.
Il fut joué à travers tout l'empire britannique sur lequel "le soleil ne se couchait jamais" et si les pays du Commonwealth ont leurs propres hymnes, c'est le God save the King qui retentit lors des visites des membres de la famille royale.

Il y a quelque chose d'ironique quand on y pense : sans le royal trou du cul du Roi Soleil, cet hymne n'aurait pas vu le jour. "Anus horribilis1¹" se serait écrié la Reine qui ne manquait pas d'humour.

► Paroles et traduction

Notes

1↑ allusion à l'exclamation "Annus horribilis" de la reine Elisabeth après les évènements et scandales qui touchèrent la Couronne en 1992