Le 25 novembre, parmi les journées pour tout et n'importe quoi, c'était la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes.
Une journée, une seule. Nécessaire mais ô combien insuffisante ! Même si mon propos n'est pas d'ouvrir un débat sur le sujet, il n'en reste pas moins que les chiffres sont terrifiants.
Le grand slogan depuis le #metoo américain et le pitoyable #balance ton porc français, "Il faut libérer la parole" m'a toujours fait doucement rigoler !
On pourra s'époumoner, hurler ou taguer à longueur de réseaux asociaux, surdité, cécité et solidarité masculines font que les femmes ne sont pas sorties du sable.
Hors de tout mouvement collectif et alors que le droit essentiel de la femme était celui de fermer sa gueule, même quand elle prenait des torgnoles, certaines ont "libéré leur paroles" et, si j'ose dire, eu les couilles de vivre leur vie en s'affranchissant des normes morales et sociales.
Parmi elles il y eut la grande, non, l'immense FRÉHEL.
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Photo DR (MLS - J125H c.livolant) Srce Le Télégramme |
Fréhel, une vie d'injustice
Dans l'esprit collectif, Édith Piaf est LA reine incontestée de la chanson réaliste, reine dont la vie fait pleurer dans les chaumières. Qui n'a pas sorti son mouchoir en regardant "La Môme" !
Ponctuée de drames, la vie de la Môme Piaf fit l'objet de moult documentaires, films et spectacles.
Mais si pour Piaf la vie s'est fait pardonner, elle n'a pas eu les mêmes égards pour Fréhel née un quart de siècle plus tôt.
Au point que dans une ultime injustice le grand public et la postérité ont oublié celle à qui Piaf emprunta beaucoup : on oublie trop souvent que les premiers succès de Piaf furent initialement créés par Fréhel.
Celle dont la vie ne voulait pas
Préparer la biographie de Fréhel c'est ouvrit le livre noir d'un destin de femme, une femme d'un autre temps mais pourtant contemporaine et plus moderne que beaucoup aujourd'hui.
Née en juillet 1891 à Paris de parents bretons, Marguerite Boulc'h n'est pas désirée, au point qu'on l'enverra en Bretagne chez sa grand' mère. Question affection, c'est le désert. Elle se réfugie dans sa passion, le chant et elle chante pour ses seuls amis, les animaux de la ferme.
Quand elle revient à Paris, elle doit subvenir aux besoins de sa famille qui se moque comme d'une guigne de son éducation pourvu qu'elle "rapporte". Ce furent ses premiers et seuls maquereaux, pour qui peu importait que l'argent vienne des trottoirs de Courbevoie ou des ses petits boulots précaires.
Alors qu'elle vend de la cosmétique en porte-à-porte, elle rencontre la Belle Otero qui l'amènera à la chanson sous le pseudo de la "Môme Pervenche".
Fréhel, la femme qui aimait les hommes
Les clichés les plus connus de Fréhel font oublier qu'elle fut, dans sa jeunesse, très belle et séduisante.Un géniteur qui a oublié d'être un père, ses clients du tapin, furent ses premiers "hommes". Ça commençait mal.
Aujourd'hui on parlerait de "carences affectives" et la presse pipole ferait ses choux gras de ses histoires d'amour, nombreuses et éphémères.
Marguerite/Fréhel est boulimique d'amour, alors elle aime passionnément, avec excès et sans demie mesure. Elle fait peur aux hommes.
Elle a 16 ans quand elle épouse un jeune comédien, Robert Hollard, dit Roberty à qui elle doit son pseudo de Fréhel. Ils ont un enfant qui meurt en bas âge. Quand Roberty trompe Fréhel avec sa meilleure amie, Damia, c'en est trop. Ils divorcent mais resteront amis.
Fréhel est déjà célèbre, ce qui lui permet de vivre à 100 à l'heure. C'est une fêtarde, une fêtarde qui se défonce déjà, à l'absinthe et à la cocaïne, qu'elle consomme encore à doses "festives".
Quand elle fait la rencontre d'un jeune chanteur qui monte, elle en tombe éperdument amoureuse, bien qu'elle soit encore mariée. Entre elle et le jeune Maurice Chevalier nait une passion tumultueuse, folle, qui se fracassera sur les excès et les infidélités de Fréhel. Maurice Chevalier la quitte pour Mistinguett (qui elle aussi "empruntera" au répertoire de Fréhel). Elle les harcèle, les menace, en vain.
Cette rupture la plonge encore plus dans ce qu'on ne diagnostique pas encore, une dépression qu'elle soigne dans les paradis artificiels.
En 1913 elle est une star adulée en France et à l'étranger.
Elle a tout le gratin de la vie parisienne à ses pieds mais aussi les têtes couronnées et la noblesse d'Europe.
Après un passage en Roumanie, Fréhel est invitée à Petrograd (Saint-Pétersbourg) par une de ses grandes fans, la grande duchesse Anastasia, cousine du tsar Nicolas II. Quand la Grande Guerre éclate, alors qu'elle rentre en France, elle fait à nouveau escale en Roumanie. Celle qui deviendra la reine Marie de Roumanie offre à Fréhel la protection de la famille royale.
Fréhel y rencontrera à nouveau l'amour.
Elle tombe raide dingue d'un officier roumain, Eugène Diamandescu, qu'elle suivra jusqu'au front. En attendant son retour, elle s'installe dans une ferme. Mais il sera tué en 1916.
Elle restera dans sa ferme jusqu'à la fin de la guerre, plongée dans une dépression encore plus noire et dont elle ne sortira plus jamais.
Alors qu'elle rentre en France, elle fait escale à Constantinople, ville libre où fleurissent tous les trafics, drogue y compris. Quand des amis la feront rapatrier en 1923, Fréhel n'est plus qu'une épave.
Difficile de reconnaître la beauté d'avant guerre dans cette femme ravagée par l'alcool et la drogue !
Elle renouera avec le succès dans les années 30 mais ce ne sera qu'un sursis avant la déchéance totale.
"Fermez vos gueules ! J'ouvre la mienne."
C'est par cette injonction que Fréhel commençait son tour de chant, quand elle se produisait perchée sur les tables des cafés.
Et pour ce qui est d'ouvrir sa gueule, la plus parisienne des Bretonnes ne craignait personne !
C'est la rue qui m'a dressée, la rue qui m'a faite telle que je suis avec mes qualités et mes défauts, la rue qui m'a appris à chanter
Succès, gloire et fortune n'impressionnent pas Fréhel et elle ne cherchera jamais à intégrer un monde dont elle se sent étrangère.
Elle n'est pas instruite, elle n'a pas d'éducation, elle marche aux coups de cœur, au feeling comme on dit de nos jours.
Banquier, souverains, ça ne l'impressionne pas et elle ne l'envoie pas dire !
Dans une interview elle raconte sans la moindre gêne :
J’engueulais le client et je n’y allais pas de main morte, je vous prie de le croire. Un jour, j’ai collé à un Rothschild, qui m’avait donné quarante ronds à ma quête, sa pièce sur le crâne, en lui disant : "Tout ce qui brille n’est pas or, mon petit lapin !"
Elle a 19 ans et se produit à L'Abbaye. Albert Volterra, le directeur qui connait la liberté de langage de Fréhel, vient lui demander des chansons "correctes" car le prince Antoine de Montenegro sera là incognito.
"Incognito" ne fait pas partie du vocabulaire de Fréhel qui a des princes une vision enfantine en hermine et couronne. Elle ne voit personne dans la salle qui ressemble à un prince et chante La Petite Bonne Femme aux paroles qualifiées alors de salaces. Albert Volterra est furieux comme elle le raconte à des journalistes.
- Tu es virée, me dit-il entre ses dents, tu peux faire tes paquets, c’est le dernier soir que tu chantes ici.
- De quoi, de quoi, je lui dis. Qu’est-ce qui te prend ?
- Parle moins fort. Tu sais ce que tu m’avais promis pour le prince. Tu t’es foutue de moi.
- Un prince : où vois-tu un prince ? Où qu’il est ton prince ?
- C’est moi, mademoiselle, dit quelqu’un non loin de moi.
Je regarde avec stupéfaction un gros bonhomme qui avait une tache de vin sur la figure, en veston, le col couvert de pellicules. La colère m’a prise d’un coup. Virée pour virée, il m’en fallait pour mon argent. Et puis, quand j’ai quelque chose à dire, il faut que ça parte ; on ne me changera pas.
- Vous n’êtes qu’un dégueulasse, fais-je au prince. Je ne sais pas au juste de quoi vous êtes roi, mais vous seriez le roi des cons que je n’en serais pas épatée
Maurice Chevalier sera lui aussi témoin d'une des fameuses saillies de Fréhel.
Fréhel était une des plus jolies femmes de Paris. En fait de plaisanteries, elle se permettait tout, et on lui pardonnait. C’est ainsi qu’un soir, s’adressant à une reine :
- Eh bien, ma vieille, tu ne crois pas que ton collier irait mieux sur mon cou que sur le tien - Quand vous aurez mon âge, vous en aurez peut-être un, répondit la reine en souriant.
- Tu as raison, je ne suis pas encore assez moche pour avoir des bijoux.
Alors qu'elle rabroue les grands de ce monde, elle a des coups de cœur attendris pour les "petits" comme le raconte un certain Lucien du 9ème arrondissement de Paris que la chanteuse amena à L'Annexe, un bar-restaurant de la rue Chaptal.
Un jour, je reviens de l’école communale, avec la croix d’honneur. Et Fréhel est là. Elle me passe la main dans les cheveux et elle me dit :
- Toi, t’es un bon petit gars, t’as été bon à l’école, viens, je t’emmène au bistrot
Elle offrit un diabolo-grenadine à ce jeune écolier qui plus tard se revendiquera de son héritage. Il s'appelait Lucien Ginsburg et deviendra célèbre sous le nom de Serge Gainsbourg.
Fréhel, libre à en mourir
La vie de Frehel aurait fait le bonheur d'un scénariste de films tragiques en présentant sa vie sous le prisme du misérabilisme. Ce qui serait une erreur même si les dernières années de Fréhel furent tragiques, comme ses premières années d'ailleurs.Que ce soit au début du siècle ou que ce soit de nos jours, la vie de Fréhel fut et aurait été placée sous le signe de la Liberté.
Une enfance sans amour, des coups, la misère, une maternité sans enfants, des hommes qu'elle a aimés, qui l'ont quittée, volontairement ou non, un public qui l'a oubliée... quel destin !
Elle aurait pu comme La Belle Otero, Piaf, Mistinguett et d'autres plus près de nous, mettre à profit sa célébrité pour s'acheter une conduite plus acceptable aux yeux de la société.
Tout comme elle aurait pu utiliser les hommes prêts à mettre leur fortune à ses pieds ou leur talent. Elle ne le fit pas. Elle les aime, elle couche avec, mais ne s'en sert pas.
Car elle refuse qu'on se serve d'elle.
En me documentant pour cet article , une image tout à fait saugrenue m'est venue à l'esprit : et si Fréhel avait rencontré Harvey Weinstein ?
Pour moi, aucun doute possible ! Carrière ou pas carrière, elle lui aurait fait le coup de "la môme catch catch" et lui aurait fait une vasectomie à coups de lattes !
Une vie de regrets sans remords
Grâce à quelques amis dont le fidèle Roberty, elle fit son retour sur scène fin 1923 et retrouva le chemin des studios.
Dans les années 30 elle enchaîne une vingtaine de films mais son physique n'est plus celui d'une jeune première et malgré un réel talent d'actrice on la cantonne dans des rôles secondaires.
Comme dans ce film de Julien Duvivier sorti en 1937, Pépé le Moko, où bien que tenant un rôle mineur, elle a marqué tout le monde.
Dans cette séquence devenue culte, ce n'est plus Tania, la "régulière" d'un des complices de Pépé, qui parle : c'est Marguerite Boulc'h qui revoit la grande Fréhel en contemplant sa photo punaisée sur le mur.
La séquence peut paraître larmoyante mais l'émotion tant de Fréhel que de Gabin n'est pas feinte.
Où est-il donc ? ce passé glorieux.
Loin, et il s'éloignera encore plus au sortir de la deuxième guerre mondiale.
Après la Libération elle sombrera dans l'oubli, supplantée par d'autres qui pourtant se firent un nom sur les succès de Fréhel.
Elle a qui on offrit des bijoux a fini en chaussettes et charentaises
dans des bars de seconde zone, en une sorte de retour aux sources.(photo plus haut)
On l'engagera de moins en moins, puis plus du tout.
Ça la tuera tout aussi sûrement que l'alcool et la drogue car au fond du fond, les seuls moments où elle semble ressusciter c'est quand elle chante. La défonce lui permet d'enterrer sa détresse alors que la chanter est sa thérapie.
De Marguerite à Fréhel, féministe ou pré-punk ?
Étrange question, n'est-ce pas ?
Depuis les années 90 maisons de disques, chroniqueurs, auteurs et acteurs de théâtre redécouvrent Fréhel, l'artiste et la femme.
Question à laquelle je répondrais qu'elle était un peu des deux, mais surtout punk.
Féministe ?
Je pense que le mot au sens post moderne la ferait au mieux bien rigoler, au pire la mettrait carrément en rogne."Survivante" oui, à la limite, "pionnière" me paraît plus adapté.
Bercée dans les bras de la misère et de l'indifférence, elle a grandi avec un appétit d'amour si démesuré qu'il lui a fait rejeter toutes les règles.
Quand le féminisme présente trop souvent l'homme comme un ennemi, Fréhel au contraire les aimait, sans aucune illusion (L'amour des hommes) mais avec un appétit d'ogresse, cherchant en chacun l'amour dont elle fut privée et une sorte de fatalisme (C'est lui, c'est tout).
Punk ?
Oui, ascendant anarchiste.
Des punks elle avait cette conception du "no future" (Sans lendemain ou encore Je n'attends plus rien).
Elle a rejeté toutes les règles imposées aux femmes de son époque et vécu comme on a laissé grandir la petite Marguerite. Et tant pis si au bout c'est déglingue, suicide à petits feux attisés par un chagrin perpétuel (La Coco ou A la dérive).
Parmi ceux qui se revendiquent de son héritage, ce n'est peut-être pas un hasard si on retrouve Serge Gainsbourg, Jacques Higelin, Mano Solo, Renaud, Pigalle, les Garçons Bouchers et aussi Régine, une autre femme libre.
Bien qu'elle n'ait écrit aucun des titres de cette sélection, chacun porte un peu d'elle et elle les incarne, au sens étymologique du terme, cachant parfois derrière la gouaille des paradoxes toujours actuels, comme le titre Ohé les copains. Fréhel ne se contentait pas de chanter, comme elle le répétait :
Ça sort de moi comme un cri
Hello Miss .
RépondreSupprimerBel article , j'aime beaucoup .
j'aime aussi beaucoup cette Nana là !
Cette femme de gueule et de coeur .
Oui de coeur : Car on ne peut brusquer les choses
sans que le coeur soit chaud brûlant !
BigBiseMiss .
Coucou MaylisaLouloute ! (heu... j'espère ne pas me tromper !)
SupprimerUne auteure de théâtre disait dans une interview "Chez Fréhel, rien n'est frelaté". Et c'est vrai !
Je me suis immergée dans sa vie et je n'en suis pas sortie totalement indemne.
Ma grand' mère me la faisait écouter quand j'étais enfant mais j'ai vraiment découvert son répertoire dans... un bar à matelots sur le port d'Anvers dont la patronne était fan de la chanson française réaliste.
C'est fou ce que cette femme me touche et, en bien des points, je la ressens comme une "parente".
Kiss Kiss
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RépondreSupprimerCoucou !
SupprimerComme je l'écrit, depuis les 90's un nouveau public la redécouvre, à travers des spectacles, des rétrospectives. Sa vie fascine car elle quelque chose de très actuel, de moderne et de tellement sincère.
Quand j'écrirai sa biographie, je te raconterai l'anecdote qui m'a inspirée cette phrase et tu comprendras alors pourquoi je l'ai ressentie ainsi...
L'anecdote avec Gainsbourg m'a bien plu aussi ! Pour cette femme sans instruction, c'était une sacrée marque de respect !
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerJuste après que Roberty l'aie plaquée pour une autre chanteuse, Damia...
SupprimerDe tous les hommes qu'elle a aimés, Chevalier est resté son plus grand amour, sa folle passion
merci de cet hommage a une grande dame de la chanson des années 30
RépondreSupprimerje decouvre certaines chansons
parmi d'autres deja entendus avec les parents
ma mere aimait bien Georgette Plana, elle a des disques 33 tours d'elle
et aussi des compilations en 33 tours de chansons realistes
avec divers artistes ou il y a Frehel avec
merci pour ce moment dan sle passé et loin de nos vies informatisées
Hello le Gaulois
SupprimerCette page est plus un hommage à la femme qu'elle fut.
Petite rectification : comme tu as dû le lire, c'est une dame de la chanson des années1910/1920 puis 1930 avec un nouveau répertoire.
Georgette Plana, à ma connaissance, est un peu le coucou de la chanson réaliste. Elle la chantait bien mais avec l'âme en moins.