01 mai, 2022

Régine : chanteuse et femme de tête

Régine, celle que l'on appelait la "Reine de la Nuit", est décédée aujourd'hui à l'âge de 92 ans.

Si elle a traversé ces deux premières décennies du XXIème siècle dans la discrétion - sinon l'oubli - elle fut une star et même une icône dans la deuxième moitié du XXème siècle.

Régine : chanteuse et femme de tête

Retour sur le parcours atypique d'une femme moderne et d'une artiste hors normes.

Une enfance éclatée

Régine jeuneRégine Zylberberg voit le jour le 25 décembre 1929 à Anderlecht en Belgique dans une famille de juifs ashkénazes polonais qui viennent d'Argentine où ils vécurent huit ans.

Un foyer instable

Papa Zylberberg a une addiction peu compatible avec ses responsabilités parentales : le jeu.
Cela impacte sur la stabilité du foyer jusqu'au jour où il perd la boulangerie familiale au poker en 1932. Les Zylberberg émigrent à Paris. La mère de Régine claque la porte pour repartir en Argentine, laissant derrière elle sa fille et son fils cadet né la même année à la garde de leur père, incapable de les élever. Régine et Maurice sont ballotés de pension en pension et quand les Allemands envahissent la France, ils sont envoyés en zone "nono" pour échapper aux rafles.

Une jeunesse clandestine

Dans l'émission "La Parenthèse inattendue" du 21/05/2014 sur France 2, Régine se confie à Frédéric Lopez sur cette période douloureuse de sa vie.

Un jour, un couple vient au couvent et les sœurs m'expliquent qu'il faut que je parte avec eux et que je les appelle papa et maman. Nous allons à Lyon et je me retrouve dans un refuge de vieillards.
Quand on arrive, ils m'expliquent que mon père a été arrêté avec les papiers pour partir en Amérique et qu'il avait sur lui les papiers du couvent. Les gens ont compris qu'il fallait venir me chercher très vite. Le lendemain, la Gestapo est arrivée au couvent", raconte-t-elle.

Le couple Heyman (orthographe non garantie, nom cité par Régine lors d'un entretien avec le journaliste Darius Rochebin) a un fils, Claude qui est aussi le neveu du Grand Rabbin de Lyon, Bernard Schonberg.
Elle a environ 13 ans, lui en a 16 quand ils se rencontrent.
Le garçon est chargé de parfaire l'instruction de la jeune Régine mais "il y aura des bisous et puis après les bisous... autre chose".
Ils sont deux enfants qui s'aiment dans le fracas de la guerre.

Au fil de l'Occupation, les deux enfants seront ballotés entre diverses villes de la zone "libre", et ils finiront par être séparés. Régine vivra notamment à Aix en Provence.
Les rafles s'étendent dans cette zone et en 1941 Régine échappe de peu à une rafle grâce à un autre couple de Français qui vont la mettre à l'abri. C'est pendant cette période qu'elle sera baptisée catholique pour échapper à la chasse aux juifs.

Un grand amour

Impossible de préciser à quelle date, mais Régine revient à Lyon où, en 1944, elle va vivre un drame qui la hantera.
Elle retrouve Claude et ils reprennent leur histoire d'amour et font des projets.
Le 6 juin 1944 les Alliés débarquent sur les plages de Normandie mais à Lyon, Klaus Barbie met les bouchées doubles pour arrêter les Juifs.
Comme elle le raconte, les larmes aux yeux, à Frédéric Lopez, pour Régine ce 6 juin marque le premier grand drame de sa vie.

Donc, il est allé le 6 juin 1944 voir son oncle pour lui dire que quand j'aurais 15 ans, il m'épouserait. Et en descendant de chez son oncle, avec son oncle, ils ont été arrêtés et il n'est jamais revenu.

Les deux hommes seront déportés à Auschwitz d'où seul Bernard Schonberg survivra.
Régine confiera a Darius Rochebin que "lui ce sera [son] grand amour pour toujours... qui veille encore sur  [elle]".

Elle n'a pas encore 15 ans à la Libération, quand elle retrouve son père, qui rentre de déportation, à Paris.

La jeune Régine Zylberberg a eu le temps de réfléchir à ce qu'elle veut devenir. Ces années noires lui ont forgé le caractère, elle veut être quelqu'un et elle a de l'ambition.
Ne lui reste qu'à trouver les moyens.

La Reine de la nuit bâtit un empire

Quand, à la Libération, son père prend le bar "La Lumière de Belleville" à Paris , il faut peu de temps à cet homme bohème pour déléguer de plus en plus à sa fille. Bosseuse, elle sert les clients tout en rêvant de célébrité. Elle a une obsession : devenir quelqu'un, et si possible, en s'amusant en prime.
Dans l'euphorie qui suit la libération, elle découvre les boîtes fréquentées par les Américains, le jazz, le be bop et le goût de la fête. Elle aime cette vie fêtarde.

En 1947 elle épouse Léon Rothcage avec qui elle aura un fils, Lionel. Le couple divorce en 1951.

Reine des nuits mondaines...

Dans le début des années 50, elle "descend" dans le sud, à Juan les Pins, ville balnéaire devenue très prisée de la jet set depuis les années 20 quand les Américains y importèrent un style de vie décontracté et le jazz.
La journée Régine est vendeuse dans une boutique de mode, ce qui lui servira plus tard, et la nuit elle court les cabarets, les boîtes à la mode où elle côtoie des célébrités.

A son retour à Paris, elle fréquente St Germain des Prés et travaille au "Whisky à Gogo"... rue de Beaujolais ! Ça ne s'invente pas ! Barmaid et disquaire, elle parfait son apprentissage.

En 1956 elle ouvre sa première boîte de nuit, rue du Four dans le 6ème arrondissement de Paris : Chez Régine. Françoise Sagan (qui lui écrira des chansons) contribue à lui apporter la notoriété. George Pompidou, Brigitte Bardot ou encore Noureev s'y presseront.

En 1961, elle s'exile à Montparnasse où elle ouvre le New Jimmy's où elle fera découvrir le twist au tout-Paris.
Ce que l'on mentionne rarement, c'est la grande trouvaille de Régine : à l'époque la musique était assurée soit par des orchestres soit via des juke boxes. Régine décide de confier l'animation musicale à des DJ's, une révolution à l'époque.
Pour l'édition 1961 du Festival de Cannes, elle ouvre un Chez Régine à Cannes. Elle en fait pratiquement un franchise, ouvrant de nouvelles boîtes dans les capitales où règne la jet set.

Régine est une femme d'affaire accomplie qui étendra sa gamme de produits : vêtements, parfums, organisation d'évènements pour le gratin, restauration.

Mais la désormais incontestée Reine de la Nuit rêve d'autre chose : la chanson.

... chanteuse populaire

Femme d'affaire accomplie, adulée par la jet set internationale, Régine a une personnalité hors du commun et parmi son carnet d'adresse bien rempli, nombreux sont les artistes séduits par cette femme à la fois mondaine et gouailleuse, résolument en avance sur son temps : libre, en un mot.

Cette "influenceuse" de la nuit, dure en affaires, masque sous sa gouaille des blessures profondes et elle inspire des artistes qui lui composeront des titres "sur mesure". Les plus grands paroliers de l'époque écriront pour elle.

Le premier sera Charles Aznavour qui composera les deux titres de son premier 45 T.

C'est Serge Gainsbourg qui lui composera les deux titres qui l'imposeront au grand public qui ne connaissait Régine que par les chroniques mondaines.
En 1964, Les Petits Papiers feront un tabac et seront sur toutes les lèvres.
En 1966 c'est le boa de La Grande Zoa qui devient célèbre. Pour le public, La Grande Zoa c'est Régine et son flamboyant boa rose.
Elle alignera d'autres tubes tels Azzuro, Les Boules de Gomme ou encore Patchouli Chinchilla.

D'autres chansons telles Ouvre la Bouche ou Les Femmes ça fait Pédé sont des charges, drôles, sur le machisme et les préjugés de l'époque.
Mais Régine se fait moins gouailleuse sur des titres graves, dramatiques même comme My Yiddishe Momme, l'Accident, bouleversante, ou Une Valise sur le Lit (une des plus belles histoires de rupture que j'ai entendue) ou Un Jour, je Quitterai Tout.

En 1968 elle réalise enfin son rêve : monter sur scène, et ce sera celle de l'Olympia. Elle se produira également au Carnegie Hall de New York et en 1973 ce sera la consécration à Bobino.
Malgré ses beaux succès populaires, le public est dérouté par cette artiste qui a la voix des faubourgs mais dont le répertoire est peut-être trop étendu, tantôt littéraire, tantôt "vulgaire".
Et puis le public n'aime pas cette impression, probablement injustifiée, de dilettantisme. Car entre ses affaires, le cinéma, son association SOS Drogue International, l'écriture de ses livres, Régine la chanteuse se fait rare.

Dernières épreuves

Un nouveau drame vient toucher Régine.
En 2006 son fils Lionel décède du cancer et Régine réalise, trop tard, qu'elle a trop souvent fait passer son fils après le reste, un comble pour celle dont l'enfance fut marquée par l'absence. Elle se confie au Figaro :

Il ne me voulait que pour lui. Et moi j’ap­par­te­nais à tout le monde, je voulais appar­te­nir à tout le monde. Je ne me rendais pas compte que je lui faisais du mal. Je ne me rendais pas compte qu’il y avait une vraie jalou­sie… Que lui devait être le premier

Une erreur qu'elle ne commettra pas avec ses arrière petits enfants.

Cette même année, un malaise cardiaque l'oblige à renoncer à une nouvelle expérience : le théâtre.

En 2009 elle est ruinée et vendra ses objets, vêtements personnels pour faire face à cette épreuve.
Forte femme, elle le prend malgré tout avec philosophie

Aujourd'hui, il reste d'elle des refrains, des chansons injustement méconnues et le souvenir d'une femme exceptionnelle dans son parcours.

 
 

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