28 juillet, 2024

"Snuff" - La folle histoire de la ballade de Slipknot

 Petit préambule pour les non métalleux.

Le métal, c'est un peu comme les pierres précieuses : il faut évacuer des tonnes de roche brute pour tomber sur ces pierres tant convoitées.
Il en va ainsi de certains morceaux qui, extraits de la gangue de brutalité d'un album, accrochent le grand public par une forme de romantisme inattendue à ses yeux.

Quelques slows et ballades sont ainsi devenus cultes, d'autres sont restés dans la sphère "métallistique" car composés par des groupes moins connus du grand public.
Mais tous ont en commun d'être l'autre face de l'expression de la sensibilité exacerbée dont se nourrit le Métal.



Snuff est-il de cette veine ? Assurément.
Mais l'histoire de cette ballade est une des plus folles que j'ai entendue, à l'image de Slipknot.


Émergence et maturité : Slipknot's evolution

Le début du siècle voit émerger un nouveau style de métal, pas moins brutal mais plus ouvert sur de nouvelles sonorités, c'est le nu metal (prononcer new).
Deux groupes vont marquer la scène internationale : Korn et Slipknot.

Les premiers flirtent avec des ambiances gothiques et ratissent large, les seconds sont bruts de décoffrage et peu enclins aux compromis, musicaux et commerciaux. 
Là où Korn demande des cachets faramineux comparativement à leur ancienneté et leur popularité, Slipknot est prêt à venir jouer gratuitement sur un petit festival dans la Sarthe1.

Issu de la classe moyenne- de l'Amérique profonde que le "rêve américain" a oubliée, Slipknot est la voix d'une jeunesse qui se sent déclassée dans un état touché de plein fouet par la récession économique. Une voix tonitruante pour en exprimer le désarroi.

De la gangue à la gemme

En 1998 sort leur album éponyme, dont le succès doit beaucoup aux maggots2 qui relaient cette sortie sur les fora métal et MySpace. Ils sont fidèles au poste lors des concerts du groupe, majoritairement très jeune (une caractéristique du public nu metal à l'époque).

2001 marque le tournant international que va prendre la carrière de Slipknot avec la sortie de ce qui reste leur album phare "Iowa", dont l'équation People = shit fait le tour du monde.
La consécration vient des jeunes qui apprécient leurs prestations scéniques brutales et carrément déjantées.
Outre une brève apparition dans le film "Rollerball" en 2002, leur remix plus heavy de My Plague pour le film "Resident Evil" assoie définitivement leur statut de stars auprès des ados (pas que, j'avoue tout !).


Bien fol qui verrait dans toute cette brutalité une trace de romantisme ! Et pourtant...

Quand Slipknot présente la maquette de leur troisième album à Sony, la réponse du label est "Non !". Copie à revoir : pas assez brutal, rien à voir avec les deux précédents, en gros... pas assez commercial.
Mais Slipknot refuse de céder, ils sont là pour faire leur musique, pas du fric et ils sont prêts à aller au clash juridique en quittant Sony et donc en rompant le contrat. Le label cède.
Quand Vol. 3: (The Subliminal Verses) sort en mai 2004, c'est la stupeur tant parmi les professionnels que parmi les maggots : Slipknot serait-il devenu mou du genou ?

Non, les membres du groupe ont seulement mûri et, surtout, ils aiment la musique, la mélodie et veulent passer à autre chose tout en restant eux-mêmes. Finalement, Sony ravale son chapeau : nombre des concerts de la tournée se joueront à guichets fermés. Le public lui aussi a mûri et suit le groupe dans cette nouvelle approche. 
Quand j'ai chroniqué cet album en 2004, j'avais une certitude : Slipknot n'est pas qu'un grand groupe de métal, c'est aussi un grand groupe musical qu'il faut regarder par delà les masques.

Une envie d'autre chose

Cadences infernales, vie privée, besoin d'une pause ? Peut-être est-ce un peu tout cela en même temps qui fit que Slipknot a pris une pause de cinq ans avant de sortir son quatrième album dont le titre n'engendre pas une joie débridée "All Hope is gone".

Passés de Sony à Roadrunner Records (label spécialisé dans le metal), Slipknot achève sa mue.

Sans renier ce qui a fait Slipknot, le groupe confirme une mutation annoncée dans leur troisième opus. Les masques changent, moins terrifiants mais plus inquiétants car plus humains.

Slipknot - Snuff


Il y a toujours une brutalité sur certains morceaux qui gardent cette touche particulière mais le virage négocié cinq ans auparavant les mène sur une route où désormais mélodie et metal lourd devront faire route ensemble.

Que l'on se rassure, si j'ose dire, le public metal peut et sait être largement aussi con que les autres ! Parfois pire ! 
Ce virage musical déçoit une frange de leurs fans qui reproche au groupe de faire du Stone Sour, l'autre groupe de Corey Taylor, dont le registre est moins métal.
Quatre singles sortent avant une série de concerts à travers le monde, concerts où le public se bouscule. Lors de la tournée nord américaine en octobre 2009, le groupe joue ce qui sera le cinquième single extrait de l'album : Snuff.

De chanson "à chier" à "ballade culte"

Snuff prend tout le monde à contrepied. 

Ceux qui dès la sortie du "Vol. 3:" reprochaient à Slipknot de glisser vers des sonorités à la Stone Sour s'en donnent à cœur joie, certains allant même jusqu'à parler d'une trahison des "fondamentaux" du groupe dans la veine de leurs deux premiers opus. 
D'autres encore, pour les mêmes raisons, y verront une mainmise de plus en plus lourde de Corey Taylor sur le groupe. Et bien sûr, il y a l'argument "dérive commerciale" et tant pis si Slipknot n'a plus rien à prouver à ce niveau !
Pourtant Snuff se hissera à la tête des hits américains dans les media spécialisés dans le rock pêchu alternatif.

La drôle d'histoire d'une chanson !

Forcément, Skull a suscité bien des interrogations quant à son histoire.
Comme d'habitude, pour rédiger mon article, j'ai parcouru la vaste Toile et j'en ai lu des histoires sur cette chanson, toutes plus romantiques les unes que les autres. Jusqu'à ce que je tombe enfin sur une interview de Corey Taylor dans laquelle il évoque le processus de création de cette chanson, interview accordée à Kerrang Mag en juin 2018.
Et ce n'est pas piqué des hannetons ! Je crois que c'est une des histoires les plus folles que j'ai jamais entendue et j'étais pliée de rire en écoutant le frontman de Slipknot livrer son explication.

Une chanson sortie... des tripes !

En 2004, la sortie de Vol. 3: s'accompagne d'une énorme tournée mondiale qui passera par l'Europe, y compris la Suède, à Götteborg, capitale du fameux death metal suédois.
Profitant d'une pause de quelques jours, Corey Taylor et le percussionniste du groupe, Chris Fehn, visitent la ville. Comme tous bons Américains, pris d'une petite faim, les deux compères se rendent dans le haut lieu de la gastronomie qu'est le Mc Do du coin pour s'enfiler deux cheeseburgers chacun.
Sustentés, ils se séparent, se donnant rendez-vous un peu plus tard et Corey Taylor regagne sa chambre d'hôtel. Et là, dixit le chanteur, "l'enfer s'est déchaîné !".

Foudroyé par une intoxication alimentaire mahousse (Chris Fehn sera également malade mais moindrement), Corey Taylor se vide par tous les orifices. Son calvaire dure plus de deux jours et il est dans un état lamentable.

Et à un moment, je n'ai pas eu la force de mettre le panneau "Ne pas déranger". Et voilà le ménage. On aurait pu croire qu'ils m'avaient surpris en train de découper un corps. C'était à ce niveau-là : "Putain de merde ! Et bien sûr, je suis faible, je suis déshydraté, il n'y a plus rien en moi.

Incapable de quitter son lit, il meuble le temps avec la télé et tombe sur une chaîne au langage international, la musique. Va donc pour MTV Europe.
Le malheureux est alors au bout de sa vie et en plus de son intoxication alimentaire, pour lui c'est une véritable intoxication musicale !

[...] je ne pouvais pas bouger et la seule chaîne qui était vraiment en anglais était MTV Europe. À l'époque, c'était encore pire qu'aujourd'hui, à mon avis. Et chaque chanson devenait de plus en plus mauvaise, au point que je voulais... Il ne suffisait pas que je veuille mourir à cause de l'intoxication alimentaire. A cet instant, je voulais juste mourir pour que ce bruit disparaisse. Et j'ai commencé à penser cette chanson dans ma tête.

D'abord, il griffonne le refrain mais au fur et à mesure qu'il récupère, les paroles lui viennent, en mode dérision inspirée par la colère.
Même si Corey Taylor a écrit ces paroles en pensant à Slipknot (je rappelle qu'il est en mode énervé), à l'instant T il n'envisage pas de l'inscrire à leur répertoire. Ce brouillon aurait pu rester en l'état ad vitam aeternam.

Une ballade douloureuse

Comment une chanson écrite dans de telles conditions est-elle devenue à ce jour "la plus belle ballade [métal] du 21ème siècle" ?
Car a priori rien ne colle avec la patte Slipknot.

Sa composition diffère du fonctionnement habituel des neuf amis de Des Moines.
Si Corey Taylor (chant), Paul Gray (bassiste) et Joey Jordison (batteur) sont les maîtres d'œuvre, tout le groupe participe à la composition des morceaux.
Sans penser sérieusement à intégrer ce morceau au répertoire de Slipknot, Corey présente son brouillon à ses amis Paul Gray et Joey Jordison, qui accrochent. Si Joey écrit une ligne de batterie, c'est Paul Gray qui l'imposera. Il compose la mélodie et c'est lui qui insistera pour que le titre figure sur le futur album et qu'éventuellement le groupe le joue sur scène, balayant les dernières hésitations des autres membres.

Snuff sort en single le 26 septembre 2009 et déjà les auditeurs l'adoptent comme une ballade sentimentale, à mille lieues d'imaginer son sens originel. Sur les ondes, ils la dédicacent à leur enfant, à un membre de la famille ou une connaissance incarcérée.

Quand Roadrunner diffuse le clip sur sa chaîne le 18 décembre 2009, c'est un carton !
En association avec P.R. Brown3, c'est Shawn "Clown"Crahan, un des percussionnistes du groupe, qui s'attelle à la réalisation.
Le public plébiscite ce clip, tourné et scénarisé comme un court-métrage à l'intensité dramatique qui flirte avec le fantastique et à l'esthétique léchée. A noter la présence de deux invités de marque : Malcolm McDowell (Orange Mécanique) et Ashley Laurence (Le Pacte).

Snuff : un titre qui prend... aux tripes

En écoutant ce titre et en visualisant le clip, il est difficile de concevoir ou même d'imaginer dans quelles circonstances elle fut écrite.
De même qu'il parait difficile de comprendre comment ce morceau reçu initialement avec un enthousiasme relatif [comparativement à d'autres titres du groupe] soit aujourd'hui un des titres les plus écoutés de Slipknot, titre que le public reprend avec ferveur quand il est joué en concert.

Entre le premier épisode "merdique" de sa composition et ce que l'on entend maintenant, la vie et la mort sont passées par là.

Le coup de gueule contre MTV initial a été réécrit par Corey Taylor, en plein marasme mais affectif, cette fois. Son premier mariage vole en éclats en 2007, après trois ans et le chanteur peine à s'en remettre, comme il le confie début novembre dans une interview à Metalhammer.

C'était l'une des plus grandes déceptions, l'un des plus grands chagrins que j'aie jamais ressentis[...] il y avait là quelque chose qui vous faisait du bien. Quand on vous l'arrache, vous avez l'impression qu'il y a un trou dans votre poitrine

Ce nouveau texte prend encore plus de poids avec un drame qui marque à jamais Slipknot, dans son histoire mais surtout dans le cœur des membres fondateurs : la mort de Paul Gray à 38 ans,  le 24 mai 2010 d'une overdose accidentelle de fentanyl.
Paul Gray, qui a imposé Snuff, était un pilier du groupe mais surtout un ami pour les Neuf de Des Moines. 
Pour Corey, Snuff, c'est un hommage au musicien mais surtout à l'Ami.

Il a adoré cette chanson, donc elle me rappelle vraiment lui. , surtout quand je le joue en live. C'est étrange qu'il arrive souvent que je ne me souvienne même pas du niveau de puissance qu'avait peut-être l'émotion originale lorsque je l'ai enregistrée – cela signifie simplement quelque chose de différent maintenant.

 

Je ne doute pas que dans la tête de Corey Taylor flotte aussi désormais l'image de Joey Jordison, mort de maladie à 46 ans, le 26 juillet 2021. Ensemble, ils ont fait naître une légende.

 

► Paroles et traduction

 


Notes

1  En 2005 Slipknot était la vedette inattendue du Fury Fest, ancêtre du Hellfest, au Mans.
A la pose de nos bracelets, il nous fut demandé 5 € supplémentaires "pour Slipknot", ce qui eut pour conséquence de nous mettre en... Fury. Le dimanche cette furie vira à l'hostilité ouverte quand le staff du groupe fit écourter certains concerts et évinça les techniciens français ainsi que les bénévoles qui étaient en backstage, pour n'accepter que les personnes accréditées par Sony, label du groupe.

Quand Slipknot arriva sur scène, le corps des musiciens trahit ce que leur visage, masqué, devait refléter : la surprise. Pour la seule fois de leur carrière, ce fut une véritable bronca !
"Slipknot ! Enculés !" ponctués de doigts tendus, ce fut la seule fois que je vécus ça. Dans des conditions épouvantables (jets de bouteilles d'eau puis d'urine, les vigiles ayant fermé les toilettes, de détritus et même de lapin mort) ils assurèrent 55 minutes de concert à l'issue duquel ils entonnèrent leur célèbre "People = shit", Corey Taylor transformant les paroles "People send me shit" que nous reprîmes en un vibrant "Slipknot = shit !".
Les membres du groupe, choqués, firent part de leur surprise lors de l'interview qui suivit et une journaliste leur expliqua les raisons de notre colère. En apprenant les manœuvres de leur manageuse, les leaders du groupe étaient furieux et la journaliste explique à notre petit groupe le fond de l'histoire.
Entre leur concert à Paris et celui prévu à Belfort, Slipknot avait du temps à perdre. Quand l'organisateur du Fury, Ben Barbaud, les contacta pour leur demander s'ils pouvaient venir, pas de problème. Combien ? Et là, fait suffisamment rare pour être mentionné, Slipknot a répondu "Rien ! On vient pour le plaisir de rencontrer les fans français". Informée, la manageuse a alors posé les conditions financières, sans en informer les neuf de Des Moisnes. Quelle rencontre !
Quand nous sommes retournés les voir à Bercy, le moins que nous puissions faire était de leur réserver une standing ovation.

2  maggot : littéralement "asticot". Ce terme issu de l'argot irlandais désigne au mieux un minable, au pire un connard. C'est sous ce terme, sans la nuance péjorative, que Slipknot désigne affectueusement ses fans.
C'est le batteur, Joey Jordison, qui trouva ce nom : perché au fond de la scène, l'image des fans gesticulants lui rappelait ces petites bestioles.

3  P.R. Brown : photographe, graphiste et réalisateur, il est notamment connu pour ses collaborations avec Marylin Manson. Il a élaboré des pochettes pour Korn ou encore Mötley Crue mais c'est surtout dans la réalisation de clips qu'il est mondialement reconnu (Prince, Evanescence, Lynyd Skynyrd, Alicia Keys ou James Blunt.

 

5 commentaires:

  1. je me souviens de cet article
    de cette histoire du groupe
    et surtout la creation de ce morceau dqui te sert d'article
    .
    le tout, deja publié sur ton blog ancien d'eklablog
    et j'avais, j'ai (ici de nouveau) beaucoup apprécié cette ballade
    .
    merci de tout cela,
    merci de tout revelé eh eh eh
    meme ces souvenirs d'un festival ou ils viennent pour rien,
    mais leur manageuse n'en veut qu'aux sous des festivaliers, ............ SALOPE,
    excuse, mais aussi cela me revolte ces profiteurs autour d'un artiste
    qui ne sait pas tout en dehors de sa musique

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  2. M"enfin Astérix !? On se lâche ?
    Sans surprise, tu trouveras au fil du temps les articles déjà lus. En les déplaçant, ça me donne aussi l'opportunité de corriger, compléter certains.

    Quand des majors comme Sony signent des groupes de Metal comme Slipknot, il ne faut pas se leurrer : ce n'est qu'un investissement. mais il ne faut pas perdre de vue que c'est aussi une opportunité pour les groupes : promotion, distribution, tournées, etc, tout cela représente un investissement que les petits labels indépendants ne peuvent pas se permettre.
    Le coût d'un festival, et même de concerts, est conséquent même pour des festivals moins importants que le Hellfest. Payer près de 300 € un pass de 3 ou 4 jours est normal.
    Slipknot s'est engagé sans informer le label (ce qui ne m'étonne pas d'eux), mais c'est vrai qu'on n'a pas vraiment apprécié.
    Et puis un métalleux houblonné et exposé en plein cagnard, ça devient vite irascible ! ^^
    Cela dit, Sony a payé le prix puisque Slipknot les a quitté.

    Quant à l'histoire de la genèse de ce titre, je la trouve toujours aussi... dingue !

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  3. j aime bien l'émotion et la simplicité dans la vidéo snuff accoustic , dans la version officielle j accroche pas
    je ne connaissais pas ce groupe

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    1. Hello !
      Peut-être trop "metal" pour toi, non ?
      Pour mes p'tites oreilles, c'est du soft :)
      Pas étonnant que tu ne connaisses pas en fait.
      Je les ai vraiment découverts à ce fameux Fury Fest mais ils étaient passés sur Canal + avant l'ère "télé facho". Ce fut un sacré moment télé sous le regard ahuri de Philippe Gildas et Antoine de Caunes. C'est dire si ça remonte à loin.
      En plus, j'admire les artistes (et autres) qui ont assez de corones pour envoyer balader le système.

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    2. non la version officielle de snuff ne me semble pas si métal que ça
      mais je préfère nettement la version live
      et c est toujours pas métal

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