"Le Chant du diable" dédiabolisé

Information: Ce billet ne fait en aucun cas l'apologie du nazisme ou toute autre doctrine, idéologie parentes.
Son contenu est porté à la connaissance des lecteurs uniquement dans un but informatif, culturel et éducatif en tant que rappel historique.

Quand en 2020 je consacrai un article aux chants de la Légion Étrangère, j'évoquais alors un "passé colonial et collabo" en toute connaissance de cause.
Un an auparavant j'évoquais un célèbre chant militaire allemand, Ein Heller und ein Batzen (Heili Heilo), soulignant qu'alors que l'interprétation de celui-ci provoquait des cris d'orfraie, certains chants d'origine nazie avérée non seulement ne suscitaient aucune réaction mais étaient même repris souvent en toute innocence mais surtout en toute ignorance, la plupart du temps.
Puis, ne voyant nulle urgence, j'ai repoussé sine die la rédaction de cet article, estimant que la majorité des Français connaissent notre histoire.

Hier, le résultat des urnes m'a démontré que peut-être pas, ou qu'alors, en parfaite connaissance de cause, plus de 10 millions de Français ont délibérément fait le choix du fascisme.
Ce qui dans un cas comme dans l'autre nous ôte désormais toute raison de rester fiers de notre Histoire.

A la maison, notre père nous faisait écouter les chants pré-cités, c'est ainsi que je les ai découverts.

Jusqu'en 2020, je chantais ou sifflais un de mes airs préférés de la Légion, La Légion marche du 2^ème REP (Régiment étranger de parachutistes), dont je connais les paroles par cœur. (écouter plus bas)

" Nous sommes les hommes des troupes d’assaut,
Soldats de la vieille Légion,
Demain brandissant nos Drapeaux,
En vainqueurs nous défilerons.
Nous n’avons pas seulement des armes,
Mais le diable marche avec nous.
Ha, ha, ha, ha, ha, ha,
Car nos aînés de la Légion
Se battant là-bas, nous emboîtons le pas. "

Je n'ai jamais été assez naïve pour croire en un "destin de chevaliers" mais, bercée  dès l'enfance dans cet espèce de mythe, je ne me suis jamais posée de question.

Jusqu'au jour où un clic sur Youtube me décrocha la mâchoire.

Le Noir et le Rouge : le choc des dictatures (WW2)

La vie est un professeur souvent cruel mais efficace à condition de tirer les leçons de ses enseignements. Née dans un ancien département d'outre-mer, mon teint tend plus vers le blanc cassé que l'albâtre. Dès ma prime enfance, j'ai vu la face hideuse des racismes, sur mon lieu de naissance puis lors de mon retour en métropole et au sein même de ma famille paternelle où peu de choses me furent épargnées même si vu de l'extérieur nous représentions la famille parfaite.

Dès mes premières années d'école, instinctivement j'ai combattu ce qui me paraissait être une ignominie bien que ce ne fut pas le nom que je donnais au racisme à l'époque.
A l'âge de 12 ans, une lecture allait définitivement ancrer en moi le rejet de toute idéologie fondée sur la haine et la politique du bouc émissaire : Les Médecins Maudits de Christian Bernadac.
Depuis, l'histoire de la déportation et de l'extermination me passionne, avec une question majeure : pourquoi et comment des peuples civilisés et cultivés qui donnèrent à l'humanité de grands penseurs, artistes ou scientifiques, ont-il pu mettre en œuvre et alimenter le massacre de millions d'êtres humains ?

Cela dépasse encore aujourd'hui mon entendement (peut être plus qu'hier) mais de forte, ma conviction est devenue inébranlable : fascisme et dictatures sont des flétrissures à notre Humanité.

Aussi quand je découvris cette vidéo, le choc fut violent.

Malgré ce que mes oreilles entendaient et ce que voyaient mes yeux, j'étais dans l'incrédulité. Comment ce chant pouvait-il être repris, même réécrit, par un corps de l'armée de notre République ? Alors qu'on a censuré Léo Ferré, Boris Vian, Georges Brassens, Renaud et bien d'autres pour bien moins que ça !
Depuis ce jour de 2020, je ne chante ni ne siffle plus cet air.

De la Légion Condor aux Sapeurs pompiers de Paris

Le Chant du Diable (Teufelslied) fut d'abord chanté dans les rangs de la division Condor, pilotes de la Luftwaffe venus soutenir Franco contre les Républicains lors de la guerre civile espagnole en 1937 jusqu'en 39, sous le titre de Parademarsch der Legion Condor.

 

Traduction :

Nous avons traversé la mer
Vers la terre étrangère d'Espagne,
Pour combattre pour l'honneur de la liberté
Parce que la haine et la guerre ont éclaté.

Ici régnaient les marxistes et les rouges,
La populace avait le pouvoir.
Là, comme messager de l'ordre,
L'Allemand apporte son aide.

Nous les avons chassés comme un troupeau
Et le diable, lui, riait,
Ha, ha, ha, ha,
Les rouges dans l'air espagnol
Et sur la terre,
Nous ne les laissons pas tranquilles.
Même si la mort a la main dure
Les meilleurs sont souvent abattus.
Nous avons tenu bon, le mur était solide,
La marée rouge s'est brisée.

Et les légionnaires repartent
Vainqueurs sur la terre allemande
Nos morts marchent avec nous,
Nous levons la main pour les saluer.

Nous les avons chassés comme un troupeau
Et le diable en rit,
Ha, ha ha ha ha,
Les rouges dans l'air espagnol
Et sur la terre,
Nous ne les laissons pas tranquilles.

La signature du Pacte germano-soviétique scelle une belle amitié toute neuve entre les deux dictatures, mettant sous le boisseau les antagonismes idéologiques.
Par conséquent, inutile de fâcher le très chatouilleux Staline avec cette chanson.

Pas pour longtemps !
L'obsession du Fûhrer de lutter contre le judéo-bolchevisme (et accessoirement mettre la main sur les matières premières qui lui manquent tant) revient au galop et le 22 juin 1941, il lance l'Opération Barbarossa contre l'URSS. 

Les Waffen SS allemands ressortent le diable de sa boîte, sous un nouveau titre, SS marschiert in Feindesland, et de nouvelles paroles.

Traduction :

Les SS marchent en territoire ennemi
Et chante une chanson diabolique.
Un tireur se tient au bord de la Volga
Et doucement il fredonne avec eux.
Nous nous fichons de bas en haut
Et le monde entier peut nous
Maudire ou louer, C'est comme ils veulent.

[refrain (2X) :] Là où nous sommes, nous allons toujours de l'avant.
Et le diable ne fait que rire :
Ha ha ha ha ha
Nous nous battons pour l'Allemagne]],
nous nous battons pour Hitler,
Le rouge ne connaîtra jamais le repos.

Nous avons déjà combattu dans de nombreuses batailles,
Au nord, au sud, à l'est et à l'ouest.
Et maintenant, nous sommes prêts à combattre
Contre la peste rouge.
La SS ne se reposera pas, nous exterminerons,
Jusqu'à ce que plus personne ne trouble le bonheur de l'Allemagne.
Même si les rangs s'éclaircissent,
Pour nous, il n'y aura jamais de retour en arrière.
[refrain (2x)]

Internationalisation de l'Allgemeine SS : la division Charlemagne

L'invasion allemande est une véritable aubaine pour les groupes d'extrême-droite et leurs sympathisants de toute l'Europe, 

A la Collaboration, de nombreux sympathisants d'extrême-droite choisiront la Résistance, cohérents avec leurs idéaux patriotes.
Mais nombreux sont ceux qui choisiront l'égide nazie, poussant leur engagement jusqu'à rejoindre la SS.

 

Ce sera le cas de la fine fleur collaborationniste française qui s'étant particulièrement illustrée par sa cruauté au sein de la LVF (Légion des Volontaires Français) ou de la Milice à l'encontre des "ennemis de l'intérieur", n'auront rien à envier à leur Kameraden SS.
Le débarquement allié en 1944 annonce un avenir un peu difficile à ces braves gens qui préfèrent rejoindre l'Allemagne nazie et les premiers volontaires engagés dans la SS dès mars 1943,
Si a priori ce choix peut paraître irrationnel de nos jours, certains, y compris parmi les dignitaires nazis (Hoess, Himmler, Göring ou encore Dönitz...) sont persuadés qu'au nom de la lutte contre le bolchevisme, des accords peuvent être trouvés avec les Alliés. Car même si en dépit du fait que l'extermination reste la priorité, l'autre priorité est l'éradication du bolchévisme, comprendre par là tout ce qui va du centre au stalinisme. 

La brigade Charlemagne, rejointe par quelque 2 000 de la LVF, devient officiellement  la 33. Waffen-Grenadier-Division der SS Charlemagne (französische Nr. 1) en octobre 1944 et compte environ 7 340 hommes (estimation).

Engagée sur le front de l'est mais également dans la défense du Reich (comme en Poméranie ou dans Berlin qu'ils défendront jusqu'au bout aux côtés de la Hitler Jungend et des Volksturms), la SS Charlemagne reprend le Teufelslied et adapte les paroles en français.

Parmi ces courageux "patriotes" qui firent le choix de remettre leur patrie entre les serres nazies, la mémoire retient (ou pas) les noms du  Rottenfürher SS de la 38ème Grenadieren Divizion de la SS Charlemagne, Pierre Bousquet, de l'Untersturmführer SS Léon Gaultier (également co-fondateur de la Milice) ou encore celui de Victor Barthélémy, un des fondateurs de la LVF et qui jura fidélité à Hitler.

Alors que de simples troufions furent exécutés pour trahison, ceux-là s'en tirèrent bien et, bénéficiant des avantages de la démocratie, ils se lancèrent même dans la politique en fondant le Front National qui deviendra plus tard le Rassemblement national, avec un ancien parachutiste qui a torturé en Algérie, négationniste et antisémite, un certain Jean-Marie le Pen.

Paroles :

SS marchons vers l'ennemi
Chantant le chant du Diable
Car dans le cœur des gars hardis
Souffle un vent formidable.
La fortune monte haut, descend bas,
Que nous donne le monde entier
: Nous les inviterons au sabbat
Et nous en rions volontiers

Là où nous passons, que tout tremble
Et le Diable y rit avec nous :
Ha, Ha, Ha, Ha, Ha, Ha, Ha !
La flamme reste pure
Et notre parole s'appelle Fidélité !

II. SS, nous marchons au combat
Chantant le chant du Diable :
Les chars sont embusqués là-bas
Pour l'assaut formidable.
Les blindés nous attaquent en grondant,
Mugissante vague d'acier,
Mais notre terreur les attend
; Et nous en rions volontiers !

Là où nous passons, les chars brûlent
Et le Diable y rit avec nous :
Ha, Ha, Ha, Ha, Ha, Ha, Ha !
La flamme reste pure
Et notre Parole s'appelle Fidélité !

III. SS. Nous rentrerons en France
Chantant le chant du Diable.
Bourgeois, craignez notre vengeance
Et nos poings formidables :
Nous couvrirons de nos chants ardents
Vos cris et vos plaintes angoissées ;
Avec nous hurle Satan
Et nous en rions volontiers !

Là où nous passons, tout s'écroule
Et le Diable y rit avec nous :
Ha, Ha, Ha, Ha, Ha, Ha, Ha !
La flamme reste pure
Et notre Parole s'appelle Fidélité !

Des ruines de Berlin à Paris : le périple du diable

Après quelques procès retentissants qui mèneront à la condamnation de quelques criminels de guerre, de nombreux soldats de la Wehrmacht mais aussi d'anciens SS trouvent refuge dans la Légion Étrangère, apportant leur expérience de combattants et leurs chants.

Le Chant du Diable s'implantera notamment chez les parachutistes et deviendra l'hymne du 2^ème REP. Les paroles modifiées perdent leur violence anti "rouges" pour glorifier les valeurs morales de la Légion. Le rythme est légèrement modifié lui aussi pour s'adapter à celui des défilés de la Légion.

Paroles :

I. La Légion marche, vers le front,
En chantant nous suivons
Héritiers de ses traditions
Nous sommes avec elle

Refrain
Nous sommes les hommes des troupes d’assaut
Soldats de la vieille Légion.
Demain brandissant nos drapeaux,
En vainqueurs nous défilerons.
{Nous n’avons pas seulement des armes,
Mais le diable marche avec nous
Ah, ah, ah, ah, ah, ah ! car nos aînés de la légion,
Se battent là-bas, nous emboîtons le pas. (bis)

II. Pour ce destin de chevalier
Honneur, Fidélité
Nous sommes fiers d’appartenir
Au 2e R.E.P.

Refrain.

III. Fidélité est notre Loi
Luttons pour notre Foi
Notre fierté de chevalier
Notre Honneur de soldat.

Refrain.

Analogie du combat courageux contre un ennemi aussi redoutable que sur le front de l'Est ?
Les Sapeurs Pompiers de Paris vont adapter les paroles à leur combat contre le feu.

Paroles :

Nous sommes les sapeurs-pompiers de Paris
Soldats de toutes les régions
Mais demain au mépris de nos vies
Au milieu des flammes nous serons
Nous n'avons pas seulement des lances
Mais le Diable marche avec nous
Ah, ah, ah, ah
Nous sommes les sapeurs-pompiers de Paris
Combattent le feu, nous emboîtons le pas
Nous sommes fiers de pouvoir dire :
"C'est sauver ou périr"
Nous sommes fiers de pouvoir dire
"C'est sauver ou périr"

On peut s'étonner, comme moi, que de tels chants aient pu s'implanter dans l'armée française où on estime qu'environ 18 % des chants sont d'origine allemande et, dans ce cas, nazie.
Pendant la Première Guerre mondiale, un journaliste qui s’étonnait d’entendre des légionnaires chanter  en allemand en Afrique du Nord, s'entendit répondre par leur officier "ils défendent la France, ils peuvent bien chanter ce qu’ils veulent".

Un point de vue qui peut se défendre car parfaitement compréhensible mais sous l'éclairage actuel, ça me laisse un drôle d'arrière-goût.