"Juanita Banana" de Verdi à Henri Salvador

Bien qu'en pleine vague yéyé, dans les années 60 la France, ou du moins quelques irréductibles, baigne encore dans les espagnolades et autres latineries.

Bien que poussant gentiment Gloria Lasso vers la sortie, Dalida n'oublie pas de la délester de ses tubes pour les reprendre à son compte et les crooners Guy Marchand et Henri Salvador n'hésitent pas à emprunter à ce registre ensoleillé.

Non sans y apporter une touche personnelle, tel Henri Salvador. 

Juanita Banana : des palais italiens aux bananeraies cubaines

J'ignore s'il existe une vie après la mort mais si tel est le cas, il y en a un qui a dû tomber de l'armoire (et où croyez-vous qu'ils rangent leurs ailes pour dormir au Paradis ?!), c'est Guiseppe Verdi !

De la conspiration des cocus...

Opéra de Verdi, "Rigoletto" raconte l'histoire tragique de Rigoletto, bouffon d'un noble coureur de jupons invétéré, qui se moque de tous ces nobles cocus dont les épouses ont succombé au charme de ce don juan. 
Rien n'est pire que la vengeance du cocu, quand il ne peut s'en prendre au responsable de son infortune !

Pour se venger de Rigoletto, ces tristes sires vont organiser un rendez-vous entre le duc de Mantoue, responsable de leurs cornes, et Gilda, sa fille que Rigoletto n'a eu de cesse de protéger des assauts du duc. Ce qui devait arriver arriva : la belle tomba sous le charme du duc ! Les deux amants cachent leur passion mais dès que son aimé quitte sa maison, Gilda évoque son nom dans une aria, Caro Nome.
Et par définition, une aria c'est tout sauf gai !

...à la bananière à voix du Mexique

Quel cheminement de pensées a bien pu pousser une bande de déjantés anglais à revisiter cette  mélodie lyrique énamourée pour la transformer en une "épopée" farfelue ?
Cela relève du mystère de la créativité artistique, non élucidé pour le moment.

En 1966 s'inspirant d'un air du folklore mexicain, The Peels, groupe farfelu anglais, reprend la thématique du père protecteur, remplaçant le cynique duc de Mantoue par un père mexicain un brin macho, bananier de son métier qui veut garder sa fille loin des mirages de la scène.

En vain car la pétulante Juanita Banana prend ses cliques et ses claques direction l'opéra où elle devient une diva.
Apprenant sa bonne fortune, el papa brûle sa plantation et la rejoint.

The Peels déboulent sur les plateaux télé, en France mais aussi en Europe où leur titre loufoque se taille un beau succès.

Hé! Hé! Henri est arrivééé ♫

Surfant sur le succès de deux tubes mémorables, Le travail c'est la santé et Zorro est arrivé, Henri Salvador reprend Juanita Banana à son compte.

Soyons honnêtes, The Peels lui ont pratiquement servi ce tube sur un plateau : à quelques petits détails près, les paroles sont les mêmes, et la mélodie est à peine ré-arrangée. C'est du clef-en-main !

Explication d'un succès français

Si la mélodie reste intacte, Henri Salvador en a latinisé l'orchestration, pour passer d'un son pop rock à un son qui correspond plus à notre idée d'une mélodie mexicaine avec guitare sèche et surtout une section cuivres plus présente.

Un atout maître, c'est la voix incroyable de Janine de Waleyne, travailleuse de l'ombre des studios d'enregistrement, dont le nom est souvent oublié alors que tout le monde connait sa voix.

Enfin, l'autre atout, c'est la mise en scène burlesque d'un Henri Salvador aux mimiques désopilantes.
Bien que le son ne soit pas parfaitement synchrone, je vous livre ici le scopitone rien que pour sa prestation.