"Africa" de Toto ou le tube éternel ?

 Il y a des tubes increvables !

Dès les premières notes ils reviennent s'imposer à l'esprit et à l'oreille comme si on les avait écoutés la veille.
Certains se ringardisent, d'autres pas mais ce qu'on ignore parfois c'est qu'ils auraient bien failli ne pas être des tubes.
Ils auraient même failli ne jamais voir le jour sans l'entêtement de certains artistes qui s'y sont obstinément accrochés, seuls contre tous.

Telle est un peu l'histoire du plus célèbre tube des Californiens de Toto, Africa.

 

Dans certaines familles, il y a ce rejeton qu'on ne veut pas mettre sur la photo de famille. On le trouve mal foutu, un peu con-con à chaque fois qu'il l'ouvre. Mais bon, il fait partie de la famille alors, on le garde. On le met sur la photo de famille et on le sort, honteux, jusqu'au jour où contre toute attente il devient président d'une super puissance. (Je m'égare un peu, là !)

C'est un peu l'histoire de cette chanson dont personne ne voulait.

Le fantasme africain qui sauva Toto

Fin 1981,  Bobby Kimball (chant), Steve Lukather (guitare), Jeff Porcaro (batterie), David Hungate (basse), Steve Porcaro et David Paich (claviers) commencent à fliper. 
L'avenir de leur groupe, Toto, est en jeu et leur label, Colombia, leur met la pression.

Si les six sont des pros des studios d'enregistrement, ils n'ont toujours pas trouvé la recette qui fera décoller leur carrière. Après trois albums au compteur et zéro tube, le 4^ème album doit impérativement enchaîner des tubes s'ils veulent que leur carrière se poursuivre.

David Paich seul contre tous 

David Paich vient de toucher son nouveau joujou, le synthé Yamaha CS-80. Il s'amuse avec et trouve un son "cuivré" qui lui inspire un ostinato qui ouvre et rythme toute la mélodie.
Décidément inspiré, il pose des paroles sur le refrain. En 10 minutes, il a composé l'ossature d'un éventuel morceau pour le futur album.

Pour les paroles, ça prendra un peu plus de temps.

C'est un documentaire sur l'Afrique, diffusé en pleine nuit qui va l'inspirer.
Les années 80 seront marquées par des catastrophes climatiques qui provoqueront des famines, notamment dans la corne de l'Afrique. Le documentaire évoque la situation désespérée des Africains et touche le claviériste d'autant qu'il avait déjà été marqué par les témoignages d'anciens professeurs de l'école catho qu'il fréquentait et qui avait été missionnaires en Afrique.

Ce documentaire m'a à la fois ému et consterné, et les images ne voulaient pas sortir de ma tête. J'ai essayé d'imaginer ce que je ressentirais si j'étais là et ce que je ferais

Ne restait plus qu'à planter le décor mais pas évident quand on n'a jamais mis le pied sur ce continent. Le National Geographic va compenser cette lacune.

Le groupe rejette Africa 

Pendant six mois, David Paich remettra son ouvrage sur le métier, hésitant à présenter ce morceau à ses petits camarades.

Quand finalement il présente ce qui aurait dû être le deuxième titre de l'album "Toto IV", la réaction de ses petits camarades ne fut pas des plus charitables ! Avec l'ingé son Al Schmitt le groupe va retravailler la mélodie mais non, décidément le groupe ne veut pas d'Africa !

Interviewés en 2018 sur KROQ.FM, radio rock de L.A., suite à la cover de Weezer, Steve Porcaro et Steve Lukather reconnaîtront avoir descendu la chanson en flammes. Au mieux ils évoquent un titre "expérimental", mais parlent d'une chanson "stupide" aux paroles "loufoques".
Lukather, benjamin de Toto, la qualifie de "pire chanson de l'album". Il est tellement sûr de son fait qu'il fait un pari osé : si Africa devient un hit, il s'engage à courir à poils sur Hollywood Boulevard !

Mais Colombia s'impatiente et il faut un titre pour boucler l'album dont la sortie est prévue en avril 82. Le groupe fait contre mauvaise fortune "bon cœur" et Africa est intégré comme dixième et dernier titre de "Toto IV" tel un vilain petit canard.
Face à la bouderie générale, David Paich assume jusqu'au bout en assurant le chant tandis que Kimball pose sa voix sur le refrain.

Africa de la Californie au désert du Namib

"Toto IV" sort le 8 avril 1982 et Toto connaît enfin la consécration avec le single Rosanna sorti le 31 mars et qui se classe 2^ème au Billboard Hot 100 pendant 5 semaines puis 12^ème au UK Singles Chart.

Toto tient enfin son tube mais ce n'est rien à côté de ce que leur réserve l'avenir.

Le single Make Believe, sorti le 7 août 1982 permet au groupe de rester dans le Billboard Hot 100 mais ne dépassera pas la 30^ème place et à l'étranger le succès reste très en deçà de celui de Rosanna.
C'est prometteur mais très insuffisant pour atteindre les objectifs fixés par Colombia..

Le 10 mai 1982 l'Europe découvre le "vilain petit canard" de Toto et déjà Africa détrône Rosanna.
C'est dire si Toto et son label font assez peu de cas de ce titre, puisque ce n'est que le 30 octobre que le single sort aux États Unis, probablement en mesurant son succès en Europe et il va leur infliger un sévère démenti en déjouant les pronostiques !

Africa sera le seul titre de Toto à se classer premier au fameux Billboard Hot 100.

Les critiques saluent sa composition comme la cinquième meilleure de Toto. 
Le grand public quant à lui plébiscite ce morceau non seulement aux USA mais dans le monde entier où désormais tout le monde connait ce refrain "I bless the rains down in Africa".

Devenu disque d'or, son succès aurait pu s'éteindre à la fin des 90's. mais Internet en décide autrement.

Africa, un tube immarcescible ?

Le 26 décembre 2018 le Los Angeles Times titrait cruellement : "Surestimée/sous-traitée: Au revoir, 2018 – emmenez avec vous l’Afrique de Toto et Facebook".
Tels étaient les vœux du quotidien pour 2019.

Pour expliquer la vacherie du LA Times, il faut mesurer le phénomène "Africa" pendant cette décennie qui s'achevait.

Impossible d'échapper à "l'Africa Mania" ! 
C'est ici une série Netflix qui reprend la chanson pour thème de série, là le cinéma avec la version pseudo rap de Pitbull pour le film "Aquaman", une chaîne Tweeter qui chaque jour reprend une phrase de la chanson sur laquelle se trémousse un perroquet ou encore une version du Finlandais Toni Patanenn.
Mais pour le journal californien l'overdose est atteinte quand un collectif d'internautes que le medium qualifie de "loufoques"; le @WeezerAfrica, lance campagne pour que le groupe de rock indépendant Weezer fasse une reprise du tube de Toto. Cette reprise (pas mal faite au demeurant) propulse à nouveau la chanson originale à la 51^ème place du Billboard Hot 100 !
C'est un des plus grands mèmes Internet, toutes catégories confondues !

Des media aussi sérieux que la BBC, Rolling Stone ou encore le Boston Globe soulignent qu'en 2017, l'original, posté le 22 mai 2013 a été vu 396 M de fois sur Youtube et écouté 426,7 M de fois sur Spotify.

La deuxième décennie de ce siècle permet à Africa d'être certifié disque de platine à 8 reprises. 

Et si Africa nous survivait ?

Imaginez... 
Imaginez que l'espèce humaine disparaisse (au train où vont les choses, c'est de moins en moins de la fiction) et qu'une civilisation extraterrestre vienne sur notre planète ? 
Imaginez que leur vaisseau se pose non pas à Roswell au Nouveau Mexique mais dans un immense désert au cœur de la Namibie.

 Toto Forever est l'initiative de l'artiste germano-namibien Max Siedentopf.

Dans le désert de Namib (le plus vieux du monde 55 millions d'années), l'artiste a implanté le tube de Toto sur le continent qui l'a inspiré, comme il l'a expliqué sur la BBC.

Je voulais rendre à la chanson l’hommage ultime et exposer physiquement Africa en Afrique. Certains [Namibiens] l’adorent et d’autres disent que c’est probablement la pire installation sonore jamais réalisée. Je prends ça pour un compliment. 

Sept blocs blancs plantés dans le désert, un lecteur MP3, six enceintes, le tout alimenté par des petites batteries solaires et la chanson est diffusée en boucle au vent du désert. C'est un concept basique pour une idée barrée, que l'installation tiennent... 55 millions d'années.

Autant pour les vœux du Los Angeles Times qui aura cessé d'exister depuis belle lurette ! 
D'autant plus que depuis leur article, l'intérêt des internautes pour Africa n'a pas faibli puisqu'au moment où j'écris ces lignes la vidéo (voir plus haut les chiffres pour 2017) totalisent  1 149 996 314 vues !

"Toto IV" n'a peut-être pas généré autant de tubes qu'attendu mais le groupe et Colombia peuvent bénir David Paich qui ne leur a peut-être pas offert leur meilleur titre musicalement parlant mais une sacrée notoriété (et quelques dollars !) pour au moins... 55 millions d'années. 
Et ça c'est pas une blague à Toto !

Et si vous voyez un vieux courir tout nu sur Hollywood Boulevard, c'est peut-être Steve Lukather... dites-lui de rentrer car L.A. n'est plus très sûr en ce moment.

►Paroles et traduction

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