Soixante-dix-neuf ans plus tard, cette journée aura une résonnance particulière, comme elle n'en n'a jamais connue depuis la capitulation de l'Allemagne.
Au "plus jamais ça !" tant entendu et tant espéré depuis cette date, ont succédé les craintes d'une troisième guerre mondiale initiée par l'hubris du dirigeant d'un pays allié d'hier.
Demain, le président Macron présidera les commémorations de cette journée dans un Paris où les restrictions de circulation drastiques risquent fort de mettre de méchante humeur nombre de Parisiens.
Pourtant, les Français ont bien failli être exclus de l'évènement... qui aurait dû être commémoré le 7 mai.
Car derrière l'histoire officielle, forcément glorieuse et fraternelle, en ce mois de mai 1945 se dessinaient déjà en filigrane les tensions actuelles.
Récit historique d'une journée très particulière.
Il y a un an, je me suis penchée sur l'histoire de cette journée qui fut si porteuse d'espoir pour l'avenir, et j'ai découvert une drôle d'histoire derrière l'histoire officielle.
Alors que l'Europe n'est plus qu'un champ de ruines, alors qu'à travers le monde les morts, militaires et civils se comptent par millions, alors que le continent européen exhibe ses plaies béantes sous un ciel printanier enfin porteur de paix, l'orgueil d'un homme impose son propre calendrier à l'Europe.
Une reddition en deux actes
Avant même le suicide d'Adolf Hitler le 30 avril, le sommet de l'état nazi est devenu un marigot dans lequel magouillent les dauphins pressentis, Göring et Himmler.
Hitler ne leur pardonne pas leur trahison et rédige son ultime testament par lequel il désigne officiellement le grand amiral Karl Dönitz comme son successeur.
Devenu Président du Reich dès l'annonce du suicide du Führer, Dönitz, tout en conservant tous les rouages du nazisme, œuvre pour une paix séparée avec les Occidentaux. Il espère ainsi que l'armée allemande garde ce qu'il reste de sa puissance pour rester le fer de lance dans l'affrontement entre l'Occident et l'URSS. Jusqu'au 7 mai, il mettra tout en œuvre pour faire passer les troupes allemandes derrière les lignes américaines afin de les soustraire à la fureur des soviétiques, ce qui ne l'empêchera pas de faire pendre les déserteurs.
Mais ses espoirs de paix séparée mourront le 7 mai 1945.
7 mai 1945 : capitulation sans condition
Pour Dönitz comme pour tous les dignitaires allemands ce sera la douche froide, voire glacée, car si à leurs yeux il restait un espoir d'accord avec les Américains et les Anglais, pour ceux-ci et leurs alliés c'est un "non" à tout ce que proposera l'Allemagne.
Un armistice est hors de question après les suites de l'armistice du 11 novembre 1918 et les conséquences du traité de Versailles.
Cet armistice est d'autant plus inacceptable qu'au fil de leur avance les Alliés ont découvert l'horreur absolue des exactions allemandes : camps de concentration, d'extermination massive, massacre des populations slaves, Lebensborn ("fermes" de reproduction SS), etc.
Le Generaloberst Jodl à Reims le 7 mai 1945
Aussi, quand le 7 mais 1945 les belligérants se retrouvent autour de la table des "négociations" au Collège Moderne et Technique de Reims, QG d'Eisenhower, Commandant Suprême des Forces Expéditionnaires Alliées en Europe, les dés sont jetés : il n'y a rien à négocier.
Que pourrait négocier Alfred Jodl, qui bien qu'appartenant à la Wehrmacht, a ordonné lui-même le massacre des commissaires politiques et des chefs bolcheviks et qui a orchestré la déportation des Juifs d'Europe, qu'il considérait comme une "nécessité d'État" ? Rien.
Entouré de Eisenhower et Walter Bedell-Smith pour les USA, de Ivan Sousloparov pour l'URSS et de François Sevez pour la France, Jodl signera toutes les conditions alliées qui placent l'Allemagne sous le contrôle des forces alliées le 7 mai 1945 à 02:45 am.
Les combats devront cesser à 11:00 pm, 01:00 le 8 mai heure de Londres.
Pourquoi on commémore le 8 mai ?
Bien qu'Ivan Sousloparov fut présent à Reims pour représenter l'Union Soviétique, Staline est furieux. Pourquoi ?
L'ego du "petit père des peuples" est à la dimension de la taille de son pays, immense.
Mais il serait réducteur et inexact de voir là la seule explication à la colère de Staline. En effet, pour Staline, c'est le peuple soviétique qui a payé le plus lourd tribu tant au niveau militaire qu'en morts civiles et les chiffres le confirment. C'est aussi sur le sol soviétique que la guerre a connu son tournant avec la grande défaite de Stalingrad et la demie victoire de la bataille de Koursk qui a permis la destruction de la puissance blindée allemande, qui lui fera tant défaut après le débarquement.
Staline exige une deuxième cérémonie, sur "ses" terres, dans Berlin occupée par les troupes soviétiques tandis que le drapeau rouge à faucille et marteau flotte sur le Reichtag.
Pour honorer les troupes orientales, la deuxième reddition sera signée à Berlin dans le quartier de Karlshorst.
Si dans la nuit du 8 au 9 mai les participants sont différents, les termes de la capitulation restent presque les mêmes : c'est une capitulation sans condition pour l'Allemagne.
Cette fois, c'est le prestigieux maréchal Joukov qui signe au nom de son pays.
Le commandant en chef de la R.A.F Arthur Tedder représente le Royaume Uni et le général de l'US Air Force Carl A. Spaatz, déjà présent à Reims, représente les États Unis.
Dönitz a quant à lui envoyé le maréchal Wilhelm Keitel dont l'histoire retiendra les clichés pleins de morgue.
Les Français tenus à l'écart
A la grande surprise de Keitel, la France est présente en les personnes du maréchal Delattre de Tassigny accompagné de son chef de cabinet le lieutenant de réserve René Boudoux, ainsi que du colonel André Demetz.
Cette présence est d'autant plus inattendue que Joukov (et forcément Staline pour qui la France existait à peine) avait refusé que les Français fussent présents. Une fois de plus, c'est la ténacité du général de Gaulle qui a permis cette victoire diplomatique.
La présence française était si peu souhaitée que Delattre de Tassigny découvre l'absence du drapeau français : un drapeau tricolore sera confectionné en hâte avant la cérémonie. Et pour cause !
Quand la délégation française débarque à Berlin, si de Gaulle a obtenu que celle-ci soit présente, il n'est pas prévu qu'elle soit associée à la signature de la capitulation.
Un officier britannique ira même jusqu'à murmurer "Et pourquoi pas la Chine ?!".
Pour Delattre de Tassigny, c'est inacceptable.
Delattre de Tassigny mettra tout son poids, son sens de la diplomatie auprès de ses autres partenaires pour que la France signe à égalité avec les autres nations.
Pour Keitel (que même Hitler considérait comme un "âne" !), il est difficile de comprendre la situation. Fier et arrogant, il claque des talons, salue de son bâton de maréchal, attendant que les autres membres lui rendent son salut. En vain.
Ultime humiliation pour lui, il doit s'assoir à côté de Delattre de Tassigny, "A côté d'un Français, c'est un comble !".
Il comprend qu'il est vaincu et, plein de rage, c'est en vaincu qu'il signe tous les points de la capitulation.
C'est cette date du 8 mai, imposée par un caprice de Staline, que la postérité retiendra pour les commémorations de cette paix retrouvée, de laquelle la France a failli n'être qu'un spectateur.
Le décalage horaire avec Berlin fera que ce sera le 9 mai que l'URSS, puis la Fédération de Russie, fêteront la "Grande Guerre Patriotique". A noter que désormais l'Ukraine fête cette capitulation à la date européenne.
Le 8 mai, un jour férié... ou pas ? :
Le Chant des Partisans : hymne de résistance
Nous sommes à Londres en 1941.
Après avoir fui les bolcheviks qui ont assassiné son père, une jeune émigrée russe, Anna Iourievna Smirnova-Marly, s'engage comme cantinière au QG des Forces Françaises Libres.
Sur la guitare offerte par sa mère, elle compose une mélodie sur laquelle elle plaque des paroles en russe. Elle l'intitule la Marche des Partisans ou Guerilla song.
Au domicile de l'ex épouse de l'ambassadeur Krassine, Liouba, elle chante sa chanson devant Emmanuel d'Astier qui doit retourner en France. Il la presse de revenir le lendemain.
Le lendemain, elle chante sa chanson devant Joseph Kessel et Maurice Druon tandis que Liouba traduit les paroles.
L'enthousiasme est général et chacun y va de son idée pour composer les paroles françaises.
A partir du 17 mai 1943, la mélodie, sifflée, devient l'indicatif de l'émission Honneur et Patrie diffusée par la BBC. Pour franchir le brouillage allemand, ce générique reste sifflée.
Germaine Sablon, créatrice du Chant des Partisans
Germaine Sablon, la sœur du plus international crooner français Jean Sablon, arrive à Londres en février 1943 où elle retrouve son compagnon Joseph Kessel.
Quand le metteur en scène Alberto Cavalcanti lui propose de tourner dans le film de propagande Three Songs about Resistance, cette résistante de la première heure accepte sans hésiter.
La chanson d'Anna Marly est retenue pour être une des trois chansons du film.
Joseph Kessel et Maurice Druon, son neveu et futur académicien, écrivent le texte définitif le 30 mai 1943.
Pourtant, jusqu'à la Libération, les Français ne connaîtront que la version sifflée.
Ramené en France le 25 juillet 1943 par Emmanuel d'Astier de La Vigerie, le manuscrit original reste clandestin. Les paroles seront publiées pour la première fois dans la revue intellectuelle clandestine "Les Cahiers de la Libération" sous le titre Les Partisans (chant de la Libération).
Devenu propriété de l'État, le manuscrit original est conservé au Musée de la Légion d'Honneur.
Quant à son interprète, Germaine Sablon, elle deviendra infirmière et suivra la 1ère Division Française Libre en France et en Italie.
Décorée de la Médaille de la Résistance, de la Croix de Guerre et de la Légion d'Honneur, elle reste à ce jour la chanteuse la plus décorée.
Le Chant des Partisans reste le symbole de la lutte contre les tyrannies, contre les occupations et les colonisations qui oppressent les peuples... en attendant leur "8 mai".
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