Mais puisqu'on te dit que c'est l'printemps !

C'est encore le printemps #2

 Le printemps est LA saison où chansons et musiques fleurissent comme pâquerettes dans les prés. D'un continent à l'autre les artist...

30 janvier, 2022

Sunday, Bloody Sunday - U2

 

Je te parle d'un temps que les moins de 60 ans peuvent ne pas connaître...

30 janvier 1972, il y a plus d'un demi siècle, et pourtant les Irlandais catholiques n'ont pas oublié et réclament toujours justice au gouvernement britannique.
Ceux de ma génération étaient lycéens et encore imprégnés des bouleversements de 1968.
Nombre d'entre-nous étaient militants, peu importe l'obédience, et ce jour-là nous a tous marqués quand sur nos fenestrons défilèrent les images de la fusillade du 30 janvier.

Ces images de guerre ne venaient pas d'une lointaine contrée telle le Liban, Israël ou l'Egypte mais de l'autre côté de la Manche.

Ce jour-là, nous fûmes nombreux à détester les Anglais.

 Bloody Sunday : crime sans châtiment

Une semaine auparavant le premier ministre britannique Edward Heath signe le traité qui fera entrer le Royaume Uni dans la Communauté Européenne tandis que le président français Georges Pompidou fait sauter le veto posé par le général de Gaulle, suite à un référendum favorable à l'entrée des Britanniques dans "le Machin".

Aucun préalable n'est exigé quant à la situation en Irlande du Nord.

Une guerre de religion aux relents colonialistes

Pourtant ce qui se passe en Irlande du Nord relève d'un autre âge.
Une grande partie de la jeunesse européenne prend fait et cause pour l'Irlande du nord face à une politique qui relève à la fois de la guerre de religions et d'une guerre colonialiste.
Car dans ce conflit c'est bien la minorité catholique qui est visée, considérée comme une population de non droits. Discrimination au droit au logement, droits civiques confisqués : tout est en place pour que la poudrière s'enflamme.

 


Depuis fin 1960, la NICRA (Association nord-irlandaise pour les droits civiques) lutte pacifiquement pour que les Irlandais aient les mêmes droits que les autres citoyens britanniques.
De son côté, l'IRA (Armée Républicaine Irlandaise) plus radicale mais encore au stade embryonnaire, prône l'indépendance de façon nettement plus musclée en installant une forme de guérilla dans les principales villes irlandaises où l'armée britannique est désormais présente, sur décision de Heath.

Plutôt que de choisir une politique de compromis et d'apaisement, le gouvernement britannique agira comme il l'a fait dans ses plus lointaines colonies, en renforçant la présence militaire et, surtout, en mettant en place une politique de répression arbitraire.
En effet, le 9 août 1971 est mis en place l'internement administratif qui permet à l'armée britannique de procéder à l'arrestation et à l'internement de n'importe quel citoyen irlandais, sans aucune forme de procès.
Cette décision va radicaliser une partie de la population.

30 janvier 1972, un Bloody Sunday

Le 30 janvier 1972 la NICRA organise une marche pacifique à Derry, dans le quartier de Bogside.

Que s'est-il passé ce jour-là qui fit que des soldats du 1er bataillon de parachutistes ouvrirent le feu à balles réelles sur la foule ?
Il est plus que probable que l'exécution par l'IRA de 6 soldats britanniques à Derry en décembre 1971 ait généré un sentiment de vengeance chez les soldats mais ce jour-là ce ne sont pas des combattants de l'IRA qui leur faisaient face, mais des hommes, des femmes et des enfants désarmés. L'enquête, la seule, qui suivra prouvera que les soldats ont tiré volontairement sur des personnes effectivement désarmées.

14 morts, dont 7 adolescents et l'homme au chiffon blanc qui figure sur la fresque ci-dessus, 27 blessés : le monde est sous le choc.


Cet épisode dramatique aura pour conséquence, presque logique malheureusement, de radicaliser la position des catholiques et de renforcer l'IRA que rejoignent désormais de nombreux jeunes catholiques et qui recevra des soutiens financiers de l'étranger (notamment de la diaspora irlandaise US). 

Sur les 3 500 morts de ce conflit (entre 1969 et 2002), 500 seront tués après le "massacre de Bogside". Officiellement, on parle de 45 000 blessés.
Aujourd'hui, les descendants des victimes continuent à demander justice, estimant que le gouvernement britannique ne leur a pas rendu justice avec le seul procès du "soldat F" en 2019 suite à la demande d'enquête de Tony Blair et les excuses solennelles de David Cameron.

U2 critiqué, un titre plébiscité

En 1982 le guitariste David Howell Evans, dit The Edge, broie du noir et dans sa déprime il pose un riff et écrit des paroles pour un éventuel futur titre. Ces paroles sont à l'image de son état d'esprit et bien plus radicales que la mouture que nous connaissons.

Là encore, il faut se replacer dans le contexte historico-politique : outre le fait que les évènements de Derry ne remontent qu'à 10 ans, la situation n'est toujours pas à l'apaisement d'autant que l'année précédente, le 5 mai 1981, le jeune Bobby Sands décède des suites d'une grève de la faim décidée par des prisonniers qui réclament le statut de prisonniers politiques. La mort de cet ex député à la Chambre des Communes et membre de l'IRA provisoire ravive les tensions et provoque une vive émotion internationale.

Bono, conscient des dangers auxquels le groupe pourrait être exposé, réécrit le texte.

Il faut rappeler que les membres de U2 ont tous grandi dans ce climat permanent de violence et de répression.
Sunday Bloody Sunday fait également référence à l'autre dimanche sanglant, à Dublin en 1920. Cette chanson est l'expression d'un dégoût, d'un découragement aussi face à ce conflit dont, à l'époque on ne voit pas l'issue, mais également face à la violence qui s'exerce partout dans le monde au nom d'idéologies et de religion.

Quand la chanson sort, des voix s'élèvent pour accuser U2 de mettre de l'huile sur le feu et de prendre parti dans ce conflit. Certains iront jusqu'à les accuser d'être proches de l'IRA.

Pourtant, quand ce single extrait de l'album War sort en 1983, c'est un véritable plébiscite de la part du public, malgré les critiques d'une certaine classe politique.
Bono explique la position du groupe et son propre positionnement face à la situation (source France Culture) :

C’est la guerre de façon moins apparente. C’est une émotion, un état d’esprit que nous exprimons, des conflits, des luttes à tous les niveaux. La guerre entre amants, la guerre à la maison, la guerre dans les rues, les tensions urbaines… Et bien sûr une chanson comme "Sunday Bloody Sunday", est une chanson à propos de chez nous, une chanson que nous avons longtemps refoulée, une idée en laquelle nous croyions. On se demandait combien de temps on devrait la chanter, c’est une chanson de dégoût. Bien que cet album s’appelle 'War', il parle de reddition. On utilise de grands drapeaux blancs sur scène. Ce thème de reddition est très important : le recul. On nous a tellement dit de nous dresser pour ce que nous croyons, de ne laisser personne nous dire quoi que ce soit d’autre. Les gens se dressent pour leurs idées et moi je crois au désengagement, parfois.

Je mentionnais précédemment les accusations de connivence avec l'IRA dont les membres du groupe firent l'objet. Mais s'il fallait illustrer plus clairement la position de la bande à Bono, le concert de Denver en 1987 est une réponse éclatante à leurs détracteurs.
Le 8 novembre 1987 pendant la tournée "Joshua Tree", lors de ce concert, la version live de Sunday Bloody Sunday doit être enregistrée pour les besoins d'un documentaire sur le groupe dans la vie et sur scène, Rattle and Hum.
Ce dimanche matin, une bombe, posée par l'IRA, explose lors d'une cérémonie au monument aux morts d'Enniskillen (Irlande), tuant 11 personnes, en blessant 63 autres. Dans ses assez pitoyables excuses, l'IRA expliquera que la bombe visant des soldats britanniques aurait été activée par erreur suite à un balayage radio effectué par l'armée ennemie...
En apprenant la nouvelle, Bono est fou de rage et tandis qu'il interprète la chanson,  en plein milieu il s'écrira "Fuck the Revolution !". Le chanteur qualifiera cet enregistrement de version "suprême" quant au documentaire, il sera censuré par les autorités britanniques.

 Près de 40 ans après, Sunday Bloody Sunday reste le titre emblématique de U2 et le groupe l'interprètera au moins 600 fois, notamment en hommage aux victimes dont celle du 13 novembre à Paris.

 • Paroles et traduction FR

 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire