Dans les contes il y a un château, un village, un roi, une reine une princesse et un prince charmant. Il y a de la magie aussi, forcément, on est au pays des contes.
Dans ce conte, il y a un appartement dans une cité HLM, trois petits enfants, un sapin et des plus ou moins vieilles personnes.
Mais il y a de la magie, beaucoup de magie qui commence à Noël.
Il était un fois, près de Paris, une banlieue toute de béton et de goudron au sommet d'une butte tandis qu'en bas, autour du Grand Arbre les petites maisons et résidences se blottissaient peureusement dans la crainte des Grands Frères qui régnaient sur la butte.
Ce n'était pas la misère d'autres cités mais l'esprit de ce qui était autrefois un village disparaissait lentement au profit du repli sur soi.
Les ouvriers de la ville avaient accroché les illuminations de Noël qui, au tomber du jour, accrochaient un peu de gaité sur les façades grises et bleues de la cité. Au balcon du cinquième étage, une famille dite monoparentale par les statisticiens, admirait les grandes guirlandes qui scintillaient sur l'avenue d'ordinaire bien morne et qui faisaient un arc de triomphe aux bus qui sillonnaient la ville. Les trois enfants trépignaient de joie et gazouillaient comme des oisillons éblouis par le soleil : "T'as vu, dis maman ? C'est beau, hein !". Maman prit les trois bouts de chou dans ses bras, sourit en acquiesçant. Elle frissonna dans le froid mordant et fit rentrer les trois enfants. Il était temps de dormir.
L'appartement était à présent silencieux. Chantal alluma une cigarette et retourna sur le balcon. Elle repensa à la question de Jean-Luc, son cadet : "Dis maman, c'est qui le petit Jésus ?". Avant même de devenir maman, elle s'était préparée aux questions sur le sexe ou sur la famille mais pas à celles sur la religion. Ayant perdu la foi bien des années auparavant, elle s'était bornée à une narration historique sous la forme conditionnelle mais elle avait abordé ce qu'il était convenu d'appeler "l'esprit de Noël" en tentant de se mettre à la portée d'un enfant de cinq ans. Elle avait dû subir un feu roulant de "mais pourquoi ?" et le petit Wilfried avait conclu en déclarant d'un air convaincu : "Si je vois un petit garçon pauvre, je lui donnerai un de mes cadeaux !". La phrase tournait à présent dans la tête de Chantal tandis qu'elle imaginait les vies qui se dissimulaient à peine derrière les fenêtres éclairées. Quand elle écrasa son mégot, elle avait pris sa décision.
Le lendemain elle se rendit chez les gardiens et leur exposa son projet. Ils l'écoutèrent attentivement et quand elle eut terminé, ils secouèrent la tête. Il ne faisait aucun doute qu'ils la prenaient pour une excentrique, au mieux, mais lui refusèrent leur aide en se réfugiant derrière la confidentialité. Chantal était une entêtée. Elle prit la décision de s'adresser à un de ceux qui faisaient la loi dans la cité, Bachir, un des grands frères. Ils étaient attablés devant un demi et Bachir l'écoutait attentivement. Quand elle eut terminé, il hocha la tête. Ils se connaissaient bien et Bachir ne fut pas vraiment surpris par l'étrange demande de Chantal. Le lendemain, il lui donna une feuille avec une dizaine d'adresses et des appréciations sur leurs occupants. Elle lui planta une bise sur chaque joue et s'en fut, le cœur léger.
Les jours qui suivirent furent enfiévrés.
Elle s'était rendu aux adresses données par Bachir. Elle dut abattre un épais mur de défiance mais finalement ils furent cinq à adhérer à son projet. Les cadeaux ! Il lui fallait des cadeaux pour compléter ceux des enfants, achetés tout au long de l'année et soigneusement cachés à la cave. Elle se rendit au bar et guetta l'arrivée de Mama San qui traînait son caddie™ dans tous les bars du coin. Ce furent de longues palabres et Mama San lui déballa ses petits trésors "number one". Chantal fit son choix et régla ses achats . "Pour toi copine, pas beaucoup cher !". Chantal repartit avec une dizaine de petits cadeaux supplémentaires.
L'après-midi fut ponctué de cris de joie et d'excitation quand le jeune Aziz livra le sapin, haut de deux mètres. Les enfants plongeaient leurs mains dans les décorations comme dans une malle aux trésors. Rosine jouait la grande Zoa, remplaçant le boa par les guirlandes scintillantes. Deux heures plus tard, le sapin avait revêtu ses habits de fête et quand à l'heure du dîner Chantal brancha la prise de courant, il brilla de mille feux. Les enfants étaient très fiers de leur décoration et ils estimèrent que, comparativement, celui qui trônait sur la place de la mairie était "tout pourri".
Pendant le dîner, elle réclama le silence et leur annonça que cette année la famille recevrait cinq invités autour de la table du réveillon, des personnes âgées qui n'avaient plus de famille, ou dont les enfants estimaient avoir d'autres priorités. N'ayant ni papy, ni mamy, l'idée ravit les pitchounes qui déjà imaginaient ces illustres invités.
Le 24 décembre arriva enfin.
Les enfants s'étaient mis sur leur trente-et-un pour accueillir leurs hôtes. Ceux-ci arrivèrent, apportant ce que Chantal leur avait demandé. Afin qu'ils n'aient pas l'impression qu'elle leur faisait la charité ou qu'elle attendait une quelconque compensation, elle leur avait demandé comme un service de prendre au passage diverses choses qu'elle avait commandées quelques jours plus tôt.
En voyant les paquets entassés au pied du sapin, ils s'excusèrent de n'avoir rien apporté mais elle les rassura en expliquant que leur présence était leur plus beau cadeau à tous. Tout le monde était un peu mal à l'aise mais les enfants sauvèrent la situation en déclenchant un feu nourri des questions auxquelles ils répondirent de bonne grâce. L'apéritif finit de réchauffer l'ambiance et quand tout le monde passa à table, on aurait dit une grande famille. Le dîner fut joyeux et les "anciens" racontèrent les Noëls de leur enfance à des gamins médusés d'apprendre que les cadeaux étaient rares au pied du sapin, se limitant à une orange et une pipe en sucre.
Quand vint l'heure des cadeaux, Rosine et Jean-Luc annonçaient le nom du destinataire de chaque paquet enrubanné que le petit Wilfried remettait à chacun avec la dignité d'un chambellan. Alors que les enfants déchiraient avec excitation les paquets qu'elle avait faits avec amour, les aînés les ouvraient en silence et Chantal vit perler quelques larmes d'émotion. Wilfried les vit aussi et se précipita pour embrasser chacun d'entre eux, suivi par les deux autres. La vieille Gisèle sanglotait carrément et Wilfried se pendit à son cou : "Pleure pas ! T'es ma mamy de Noyël !". Tout le monde éclata de rire et quelques instants plus tard, jeunes et vieux crapahutaient sur le plancher, générations confondues pour jouer à la dînette ou au circuit, le tout dans un joyeux brouhaha !
Source PNGtree |
Tandis que tout le monde jouait, Chantal se retira dans la cuisine pour préparer le chocolat chaud et réchauffer la brioche. Un film de Walt Disney était déjà inséré dans le magnétoscope. C'était le rituel de minuit mis en place pour le premier Noël de Rosine, dix ans plus tôt.
Quelques minutes avant minuit, quand tout le monde se fut bien calé dans les coussins du canapé, elle apporta le chocolat chaud, la brioche qui embaumait et servit tout le monde. Faute de place sur le canapé, elle se cala dans le fauteuil, baissa la lumière et lança le film, Cendrillon pour cette année.
Petits et grands, enlacés sur le canapé, se laissaient porter par la magie du film et de l'instant. Pour ne pas faire de jaloux probablement, les enfants changeaient parfois d'épaule pour se blottir confortablement dans les bras qui se faisaient protecteurs.
A la fin du film, la fatigue de cette soirée riche en émotions tomba brutalement sur toutes les épaules et tous se levèrent pour se dire au revoir. Les embrassades furent à la fois chaleureuses et tendres et Jean-Luc s'écria "Maintenant, on a plein de papis et de mamies de Noël !". Tout le monde se donna rendez-vous le lendemain midi, officiellement pour "finir les restes" mais, réellement, pour prolonger la magie de l'instant.
Pour le remercier de son aide, Chantal invita Bachir à prendre l'apéritif avec eux. Sa réputation était visiblement parvenue jusqu'aux oreilles des aînés qui eurent un peu de mal à cacher leur crainte mais celle-ci commença à se dissiper quand Bachir arriva avec son frère, chacun portant d'un air gauche des plateaux garnis de pâtisseries que leur mère avaient préparées. Quand les grands frères prirent congés, tout le monde s'embrassa comme du bon pain.
Les papys et mamies de Noël devinrent les papis et mamies de toute l'année et si, aux Noëls qui suivirent, l'un d'entre eux n'était pas disponible, il se faisait remplacer par un autre voisin solitaire qui devenait à son tour un membre de cette drôle de famille née de l'esprit de Noël.
L'initiative de Chantal eut une conséquence inattendue.
Bachir et ses frères prirent les papis et mamies de Noël sous leur aile et ceux-ci devinrent les protégés des jeunes de la cité qui, au besoin, faisaient de menus travaux, les aidaient à porter leurs courses et veillaient à ce que nul ne les importunât.
Il était une fois l'esprit de Noël...
Écrit le 24/12/2020 pour Eklablog "Le Rimarien"
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